Petit champion de l’esbroufe arty téléporté à Hollywood, Christopher Nolan avait conquis la planète gogo il y a deux ans avec Memento, mélange de thriller sophistiqué et de film de sport pressant le spectateur d’effectuer un salto arrière en continu pour s’y retrouver. Après ce coup d’épate (passé la performance foraine, il ne restait rien), ce jeune Grand-Breton s’empare d’un polar glagla du Norvégien Erik Skjoldbjaerg (à vos souhaits) pour un remake en forme de carte de visite, destiné à prouver qu’il est capable d’être aussi classieux qu’il est funky. Al Pacino, ce monument toujours fun, éternellement novateur (lui), sert de caution à cet entreprise de reconnaissance (être jeune, mais respectable). Mais la chirurgie est un art délicat au cinéma, et greffer les vertus du cinéma épatant à celles du cinéma de l’épate (si toutefois il en est pourvu), voilà en effet de quoi donner des insomnies. Et c’est évidemment le polar qui fera office de table d’opération.

Deux policiers débarquent en Alaska pour élucider un crime de serial killer. L’un deux, Will Dormer (alias Al Pacino) est une légende de la police criminelle de Los Angeles, au point que la fliquette qui l’accueille (Hilary Swank) a rédigé son mémoire de fin d’études sur ses exploits. Mais sur son palmarès de winner glissent quelques ombres que la police des polices aimerait dissiper. Au cours de l’enquête, Pacino aveuglé par la brume, abat son partenaire qui l’avait menacé de se mettre à table et de révéler ses petits secrets (fabrication de preuves en l’occurrence). De quel genre d’accident s’agit-il ? Insomnia joue la double carte de l’enquête policière et morale, éclairée par l’inusable soleil des journées polaires, qui refuse de se coucher. A mesure que Will Dormer (le mal nommé) sombre dans l’insomnie, le film se perd à vouloir suggérer à coups de métaphores trempées les états d’âmes de son héros trouble : de la brume pour signifier le flou de ses intentions, de la neige comme contre-symbole de sa pureté douteuse, et l’inépuisable soleil en réincarnation de « l’oeil qui était dans la tombe ».

Si le versant action du film est relativement solide, la dissertation d’éthique policière qu’il propose n’est pas franchement claire. Nolan, dès qu’il se sent obligé de sortir, bon gré mal gré, de sa petite quincaillerie de gadgets pour palper de la morale, ressemble à un éléphant dans un magasin de porcelaine. Insomnia est un film de planqué, entre relents d’idéologie sarkozyenne inavoués et bonne conscience de bobo tartuffe. Alors Pacino, héros ou bras cassé de la justice ? On sent bien que le réalisateur aimerait aller jusqu’au bout de sa logique droitière (la loi, on s’en fout quand il s’agit de coffrer les méchants), mais que quelqu’un a dû le prévenir qu’il passerait pour un réac’. Alors il s’en retourne la queue entre les jambes à sa mise en scène empreinte de fausse grandeur et de tics chichiteux.