Le premier film de Paz Encina est sobre, carré, assez austère pour décevoir les amateurs de flûte de pan et les hispanophiles en poncho. C’est le premier film paraguayen depuis trente ans, autant dire une table rase.

Qu’est ce que ce hamac paraguayen ? Une suspension dans le temps. L’action est simple, elle se déroule en une journée : Candida et Ramón, un couple de vieux paysans, attend le retour du fils parti à la guerre. L’un espère encore, l’autre plus. La réalisatrice invente un dispositif très exact pour filmer l’épuisement et le désespoir. La formule tient en 1h20, une dizaine de plans fixes, deux personnages filmés ensemble ou séparément, de face sur un hamac, de dos au travail, de profil dans leurs pensées, puis de nouveau de face. Leurs lèvres restent scellées mais leurs deux voix off dialoguent dans la douce et plaintive langue guarani. Beckett dans la jungle ? Si les deux vieux ressassent assis sur un hamac, en attendant le messie et la mort, l’étiquetage « film beckettien » manquerait ses réussites les plus originales.

C’est dans ses décrochages et son souci du détail plus que dans sa rigoureuse régularité formelle que le film de Encina excelle. L’insertion brutale de plans sur le ciel orageux, le recadrage soudain en gros plan sur les visages, l’irruption de quelques figurants apathiques dans le fond produisent de vrais coups de tonnerre. Quant au décalage entre la bande-son et l’image, il suit une courbe variable sans jamais se figer. Les voix flottent sans attache sur l’image, elles semblent parler à distance, depuis le passé ou à contre-temps (Candida se plaint une nième fois des aboiements de la chienne alors qu’on ne l’entend plus depuis longtemps) et dialoguent avec des morts comme dans la scène où le fils fait ses adieux. La scène la plus réussie est sans doute celle du coeur. Au milieu du film, la mère reçoit la visite d’un messager qui lui annonce la mort de son fils. La voix récite un texte magnifique de simplicité imagée : « Mon fils avait le cœur juste au milieu de la poitrine », tandis qu’à l’image Candida ramasse un grand papillon mort et le tient au creux de sa main avant de le jeter dans les braises. Paz Encina saisit avec émotion ce moment incertain entre l’attente et le deuil. On pourrait reprocher au dispositif de Hamaca Paraguaya de devenir systématique, mais concentré dans son rigoureux minimalisme, le film avance tout droit, et vise juste, en plein coeur.