La neuvième édition de Suresnes Cités Danse, festival hip-hop fameux, propose une affiche haute en couleurs avec des créations de compagnies hip-hop en vue, mais aussi des spectacles conçus par des chorégraphes contemporains pour des interprètes hip-hop. Incontournable.

Joli bloc en briques des années 30 situé au cœur de la cité Jardins à Suresnes, le théâtre Jean-Vilar rutile comme un sapin de Noèl dans la nuit. A l’intérieur, bousculade dans l’escalier, bar pris d’assaut, c’est jour d’affluence. La neuvième édition de Suresnes Cités Danse promet.
Lancé avant les Rencontres urbaines de La Villette, cette manifestation hip-hop rameute le ban et l’arrière-ban des danseurs et fans de ce style de danse aujourd’hui reconnu dans les théâtres. Dix mille spectateurs se pressent chaque année à Suresnes pour prendre la température du mouvement.

L’affiche de la soirée de lancement s’annonce alléchante : Storm, le champion allemand de break dance (danse au sol) dans un solo intitulé Solo for two, et la compagnie Choréam avec Epsilon. Piloté depuis sa création en 1993 par le duo de chorégraphes Stéphanie Nataf et José Bertogal, Choréam, programmé pour la seconde fois à Suresnes Cités Danse, est en bonne voie d’imposer sa quête d’une écriture hip-hop singulière, portée par une mise en scène bien charpentée. Avec sept danseurs sur scène, tous impeccables, Epsilon tisse une trame continue de gestes hip-hop, au fil de laquelle les acrobaties et le sens de la prouesse hip-hop trouvent naturellement leur place. La musique, également signée par Stéphanie Nataf et José Bertogal, rivalise de propositions sonores contrastées destinées à nimber la danse d’une atmosphère mystérieuse et à l’emporter dans un monde décalé à la fois urbain et naturel.
Très attendu, Storm, pionnier du mouvement dès les années 80, a imaginé un malicieux dialogue entre son image sur un écran et lui sur le plateau interprétant, à quelques détails près, la même danse. Mais quand la conversation s’emballe entre lui et lui, qu’il se démultiplie à l’envi, le spectacle s’affole pour décoller dans un humour léger. Comme Choréam, Storm fait un tabac et apporte la preuve que le hip-hop a une richesse de vocabulaire épatante et la capacité d’évoluer dans les règles strictes du style.
Le directeur du théâtre, Olivier Meyer a tenu à lancer son édition 2001 avec des chorégraphes hip-hop. En effet, depuis cinq ans, le label de sa manifestation s’est fait au travers des rencontres chorégraphes contemporains/danseurs hip-hop. Au grand dam de certains chorégraphes hip-hop qui souffrent effectivement de se voir soudain dans l’ombre d’artistes qui ne sont pas du milieu mais le mettent en scène et en profitent… « Ce qui m’importe c’est de mettre en place des échanges artistiques et novateurs et de montrer des formes inédites, rétorque Olivier Meyer. Je me moque des étiquettes, je défends des artistes, un point c’est tout. »
De fait, depuis les débuts de la manifestation en 1993, Olivier Meyer s’attache aussi bien à présenter les travaux hip-hop qu’à imaginer des confrontations risquées entre des territoires très différents. « Fondamentalement, j’aime tous les styles de danse, du classique au contemporain en passant par le flamenco et le tango, explique-t-il. Quand j’ai pris la direction du lieu il y a dix ans, il s’agissait pour moi d’identifier le théâtre d’une manière originale. J’ai découvert le hip-hop en rencontrant le chorégraphe Doug Elkins à Montpellier en 1992, où il dirigeait un atelier pour des amateurs. J’ai été frappé par la fraîcheur, la sincérité et la vérité qui émanaient de ces danseurs. De là est né le désir d’un festival mettant en valeur le hip-hop qui n’était quasiment pas programmé à l’époque dans les théâtres, l’envie de faire exister sur un plateau cette énergie tout en restant ouvert à d’autres formes de danses. »

Dont acte, avec la présence, dès la première édition en 1993, de Doug Elkins, merveilleux danseur, et du mythique duo de claquettes new-yorkais, les Rock Steady Crew. Mais aussi du musicien-compositeur Jean-Pierre Drouet, qui conçoit un spectacle basé sur la percussion où se rejoignent des danseurs de flamenco, de hip-hop, et les sabots du cheval de Bartabas. Naît deux ans plus tard l’idée forte de la manifestation : la collaboration entre chorégraphes contemporains et danseurs hip-hop, les premiers mettant en scène les seconds selon des modalités à imaginer ensemble pour que chacun y trouve son compte. Ce projet artistique et humain d’envergure va prendre son envol avec des artistes comme Jean-Claude Gallotta, Bruno Dizien, Régis Obadia, Dominique Rebaud, Karine Saporta, Blanca Li ou encore José Montalvo. « J’ai rencontré à Suresnes des personnalités fortes et attachantes, Nabil, Sabine, Canti… avec qui nous avons fait un bout de chemin », raconte Montalvo, qui a conçu deux pièces pour Suresnes avant de créer Paradis, son spectacle best-seller. « Mais aussi des interprètes virtuoses qui partagent depuis de nombreuses années une aventure artistique qui est devenue la leur : Chantal, Moktar, Ahmed, Laurent, Walid… Nous avons fait le tour du monde ensemble avec Paradis. Suresnes a permis à ces danseurs inconnus et isolés en banlieue parisienne de vivre cette aventure. La chair vivante, sensible d’une œuvre chorégraphique est constituée par ses interprètes. Qu’en serait-il de Pilhaou Thibaou, de La Mitrailleuse en état de grâce, de Paradis, du Jardin Io Io Ito Ito sans ces rencontres vécues à Suresnes ? J’ai du mal à l’imaginer. »

De fait, le bonheur des chorégraphes contemporains plongeant dans le hip-hop grâce à des danseurs recrutés sur audition crève les yeux. Sur le plateau, les spectacles offrent une stimulante réflexion sur la confrontation des deux formes de danse, qu’il s’agisse de la relecture hip-hop du poème de Rimbaud, Voix…Yel (1997), conçu par Dominique Rebaud ou de Passage d’Abou Lagraa (2000), d’une beauté limpide. Tous les chorégraphes s’enthousiasment pour cette danse hautement technique, vibrante et profondément émouvante. Et si parfois, dans le public, où les purs et durs du mouvement pensent que le hip-hop perd son âme et sa force en s’ouvrant au contemporain, il n’empêche que la danse progresse, se fait connaître et reconnaître dans le monde entier, que les interprètes évoluent et qu’il faut désormais compter avec eux.
Le hic, comme le soulignent certains chorégraphes hip-hop pourtant généreusement ouverts à toutes les rencontres artistiques, c’est que ce sont les productions contemporaines qui occupent le haut de l’affiche. « Les spectacles ont beau être très bien, ils ne représentent pas vraiment le mouvement », commentent Stéphanie Nataf et José Bertogal du groupe Choréam, « La culture, l’esprit hip-hop ne sont pas les leurs et il est nécessaire que le public puisse voir la véritable évolution d’une danse, que certains portent depuis presque vingt ans. Mais si nous n’avons pas l’occasion de présenter notre travail, il n’aura évidemment pas la chance d’arriver à maturité. » Avec Epsilon, Choréam a marqué un grand pas et fait entendre la voix d’un hip-hop profondément enraciné dans son histoire, mais déterminé à se tailler un avenir à sa mesure.

Théâtre Jean-Vilar
16, place Stalingrad
Suresnes
Renseignements : 01 46 97 98 10
Suresnes Cités Danse
Jusqu’au 3 février 2001

Avec Rennie Harris, Accrorap, Abou Lagraa, Denis Plassard, Cyril Viallon, Bernardo Montet, Régis Obadia