Longtemps, c’est-à-dire depuis sa sortie américaine en 1989, Lipstick traces resta un livre uniquement accessible aux amateurs éclairés sachant lire l’anglais. Aujourd’hui, il est disponible en langue française. Guillaume Godard, son traducteur, ouvre quelques pistes concernant le travail de son auteur, Greil Marcus.

Chronic’art : L’histoire de cette traduction commença comment pour vous ?

Guillaume Godard : C’est venu dans une conversation. Connaissant l’édition américaine, j’étais surpris et à la fois agacé que le livre ne soit pas traduit en français. Alors qu’il l’était déjà dans d’autres pays. Il n’existait qu’un texte de Greil Marcus traduit en France, un compte-rendu d’un concert de Woodstock. C’était un peu mince.

Vous occupez une place centrale en tant que traducteur. Etes-vous passé par des phases de découragements ?

Ce qui est intéressant, c’est le livre. Greil lit le français, et pour cause. Je lui ai envoyé les chapitres au fur et à mesure. Il les a corrigés, complétés, parfois par une date ou un événement. Ce fut un échange incessant, très fructueux et motivant pour moi. Dix ans se sont passés depuis la première édition : des précisions ont donc été apportées par l’auteur, deux ou trois passages supprimés, d’autres modifiés. C’est un travail naturel après dix ans. De plus, on a retrouvé des photos qui dormaient dans des cartons : par exemple celle de Michel Mourre habillé en Dominicain et Serge Berna préparant l’assaut de Notre-Dame le 9 avril 1950.

Qu’est-ce ce qui en fait sa spécificité ?

Le livre apporte surtout un éclairage sur ce qui a précédé l’Internationale situationniste, c’est-à-dire l’Internationale lettriste. Greil est le premier à avoir soulevé le voile sur cette histoire, à avoir enquêté. Grâce à sa culture (philo, littérature), il a pu établir un certain nombre de passerelles avec ce qui a suivi, et notamment le punk. Car, quand le punk a surgi, il a eu cette intuition : tout ce qui arrive découle de mouvements antérieurs (symbolique de Johnny Rotten en croix, les cris d’anarchie et de destruction, etc.). Il est donc parti sur des bribes d’infos, établissant dès qu’il le pouvait des concordances entre ces différents univers : la littérature et l’histoire des idées et la musique.

On dépasse ici pourtant le cadre de l’étude historique.

C’est avant tout un livre sur des aventures humaines. Mais Greil rééquilibre un peu les choses. Par exemple, contrairement à ce que pas mal de gens disent en France, Dada ça c’est plutôt passé à Zurich et à Berlin qu’à Paris. De même, le surréalisme n’est pas l’apothéose de Dada, mais une réduction, une transgression de l’esprit dada pour bousculer un peu le bourgeois.

A votre avis, comment le livre va-t-il être reçu en France ?

En France, on a pas la même perception de la culture que les anglo-saxons. Il y a toujours quelque chose de péjoratif à parler de « culture populaire ». On se fait une très haute idée de la culture. Greil n’est pas dans cette tradition, c’est une évidence. Il ne donne pas de leçons. Il ne parle que de choses ultra-marginales pour un américain. C’est le trajet d’un amateur qui a vu que ces différents univers se fréquentaient. Il a trouvé des filiations qui aujourd’hui nous paraissent évidentes. Mais Lipstick traces est avant tout l’histoire de sa vie : l’histoire, au travers d’entretiens avec des artistes, des musiciens, des écrivains, d’une quête personnelle. Je me suis contenté d’ouvrir la porte. Ce n’est pas mon métier la traduction. Mais cela me ferait plaisir de traduire un autre livre de Greil.

Lire notre interview de Greil Marcus et notre chronique de Lipstick traces