Six saisons pour une série, ce n’est pas l’âge de raison mais l’âge mûr qui, comme chacun sait, précède l’âge pourri. Généralement, à ce stade avancé, un show est passé par l’inclusion d’une foultitude d’événements salopant copieusement ses principes et son pitch de départ. À tel point qu’il devient dangereux pour le spectateur attentif de revoir les premières saisons sous peine d’incrédulité totale. Ce n’est pas le cas de l’excellente série crée par Alan Ball narrant le « vivre ensemble » compliqué des humains et des vampires dans la moiteur plouc de la Louisiane. Cette fresque traitant de thématiques étonnament complexes connaît chaque année un monstrueux climax virant dans le grand n’importe quoi cathartique. En 2012, ce pur moment de rock’n roll prenait la forme d’une virée orgiaque et meurtrière entre vampires défoncés. Ses participants, membres d’un ordre politique appelé l’Autorité, affamaient leur congénères en détruisant eux-mêmes, en secret, les usines de True Blood (la boisson de sang synthétique et garant de la paix entre vampires et humains). Et cette joyeuse bande de conspirateurs rêvant d’hégémonie raciale de sombrer dans le fanatisme religieux (thème récurrent de la série) auquel répondait bientôt un extrémisme de droite « humaine » anti-vampire.

 

C’est dans ce contexte de choc des cultures et de guerre sainte que démarre cette nouvelle saison. L’Autorité est décimée. Le gentil buveur de sang Bill Compton se voit investi de super pouvoirs flippants. Un gouverneur chrétien tendance dure met en place un apartheid discriminant les vampires et organise des rafles. Sookie, l’héroïne de la série, se voit poursuivie par le vampire coupable du meurtre de ses parents. Pendant ce temps, Alcide, Terry Bellefleur et Sam Merlott affrontent eux aussi, comme ils peuvent, les vissicitudes de leurs destins de freaks. Ce name-dropping a de quoi étourdir les néophytes du soap opéra sexy et gore de Ball. Mais, comme à chaque saison, un motif dominant se dessine au fil des intrigues, transcendant les trajectoires individuelles. Cette fois-ci semble surnager une multiplicité d’interprétations du bon vieux principe freudien “Il faut tuer le père”, que ce soit Dieu (version spirituelle) ou le géniteur (mode biologique). Renier sa filiation, dire merde aux souvenirs de papa maman (souillés par une révélation dont on se serait bien passé). S’émanciper du père (« le pire » comme dirait Baudelaire qui s’y connaissait bien, lui aussi, en créatures nocturnes). Pris au sens très large, il s’agît également de parfois détruire le père que l’on est soi-même devenu : autoritaire, désensibilisé ou hanté par un passé trop lourd.

 

Pas le temps pourtant de s’appesantir. À l’exception d’un très touchant épisode pré-final qui marque le départ douloureux d’un des protagonistes principaux, la saison est menée tambour battant. On retrouve ainsi (presque sans surprise) tout le piment cajun de cette formule désormais bien rôdée. Une évolution sensible des rôles soutenue par une interprétation parfaite. Des thématiques riches, réflexives mais toujours traitées de manière divertissante. Des scènes de sexe sauvages et d’autres à l’eau de rose (“it’s not porn, it’s HBO”). De soudaines et réjouissantes fulgurances gores. Des considérations subtiles et baroques sur la famille. Dans le fond, les meilleurEs séries de HBO ne parlent que cela. Le cheminement de l’individu abandonnant sa famille imposée vers une famille choisie, élue. À cette parenté conflictuelle entre vampires et humains de trouver une issue heureuse, sinon un trait d’union ? Réponse en 2014 pour la conclusion définitive de cette saga enivrante.