Troisième variation sur le même thème après Bron/Broen et The Bridge, Tunnel est la nouvelle création « originale » de Canal+. Élise, jeune flic française froide comme un Mr. Freeze, est forcée de collaborer avec un flic anglais plus expérimenté (mais plutôt rigolo) lorsqu’on retrouve un cadavre placé très exactement sur la ligne frontalière du tunnel sous la Manche. L’auteur de ce crime minutieux est un antagoniste retors et mystérieux se faisant appeler le Truth Terrorist. Sorte de Joker altermondialiste, ce dernier s’est mis en tête d’asséner aux plèbes moutonnières cinq vérités sur les dérives du monde occidental, du capitalisme et d’un tas de sujets Cohn-Benditesques qui semblent lui tenir à coeur.

 

Tunnela le défaut de sa principale qualité: son intrigue est prenante, et les scénaristes insistent lourdement pour nous tenir en haleine à tout prix, d’où une profusion de personnages aux desseins troubles et de sous-intrigues qui restent nébuleuses et sans lien apparent avec la trame principale. Un «défaut» déjà présent, de façon moins flagrante, dans les versions scandinaves et américaines. Les quatre premiers épisodes (les seuls auxquels nous avons eu accès) sont symptomatiques de ce problème d’écriture, accumulant les fausses pistes redondantes ou superflues. S’il est parfois bon de se laisser emporter dans les arcanes scénaristiques d’une série, on reste ici méfiant tant la destination semble floue.

 

Co-production franco-britannique oblige, on trouve dans ce Tunnel les forces et faiblesses des façons respectives de faire de la télévision des deux pays. Côté british, on retrouve une concision et un culte de l’efficacité, ainsi que cette relative froideur chère aux thrillers de la BBC. Une interprétation parfois surprenante et des développements scénaristiques audacieux ancrent quand à eux la série au pays de Braquo. L’une des meilleurs compromis émanant de ce choc des cultures est l’abandon du sacro-saint format de référence de la fiction française, le cinquante-deux minutes pataud et engourdi. En osant le quarante-cinq minutes, la série gagne les quelques instants qui permettent ce sentiment d’urgence si bien maitrisé par les anglo-saxons. Malgré ses défauts, la narration n’a jamais ce goût de douce indolence qui parasite jusqu’au meilleures séries policières françaises (Engrenages). Espérons pour notre télévision que cette tentative de chamboulement de format fasse école.

 

La froideur de l’ensemble n’aide pas à se concentrer sur autre chose que l’intrigue et met en évidence ses loupés. L’alchimie tarde à se créer entre les deux policiers, et les vaines tentatives de rapprochement jalonnant leur développement paraissent trop artificielles. La mise en scène plutôt fonctionnelle de Dominik Moll, connu pour ses ambiances vénéneuses (Harry, un ami qui vous veut du bien), semble étouffée par un script touffu et la cascade d’informations qu’il doit nous faire ingurgiter. Malgré son manque de rigueur sur la durée, Tunnel demeure d’une efficacité redoutable quand il s’agit de poser ses cliffhangers ou de faire rebondir l’histoire. Si la série n’est pas le grand noir attendu sur fond de déliquescence de l’Union Européenne, elle s’impose sans mal (pour qui n’a pas vu Bron ou The Bridge) comme un thriller solide, tendance pageturner pour trajet en Eurostar.