Souffrant d’une tare moderne (être issu d’un best-seller pour adolescents), La Stratégie Ender fait tout de même preuve d’une ou deux audaces, dont celles d’offrir à Harrison Ford l’un de ses rôles les plus troubles moralement. L’homme, pas tout à fait acteur, plutôt éternel charpentier au sourire en coin, a répondu aux questions de Chro à l’occasion d’un exercice de nonchalance surjouée, mais infiniment classe.

Depuis le quatrième Indiana Jones, on vous a vu notamment combattre des envahisseurs coiffé d’un Stetson (Cowboys vs. Aliens), et on vous retrouve maintenant dans un space opera. Auriez vous une propension grandissante à la nostalgie ?
Non.

On pourrait se poser la question, parce que…
Je vous arrête tout de suite : je ne suis pas nostalgique. Je ne pense pas beaucoup au passé, et d’ailleurs je ne pense pas beaucoup au futur non plus. Je suis ici, maintenant, avec vous. Je ne me soucie pas de caractérisation en acceptant un rôle. J’ai un job, une histoire à raconter, et une fonction au sein d’une entreprise. Mon utilité, au sein de cette entreprise, dépend de mon habileté à comprendre justement la nature de ce job. Je suis chargé d’établir une connexion émotionnelle avec un public, c’est mon travail. Je suis le bras droit des auteurs. C’est un service d’utilité publique. Disons, un peu comme être serveur dans un bistrot.

Mais vous reconnaissez que quelque chose vous lie à la science-fiction ?
Je me fous de savoir si c’est la science-fiction, ou le mondes des affaires, ou la politique. Mon job, c’est le storytelling. C’est ce qui m’intéresse. Le genre n’est pas mon affaire.

Ce personnage de manipulateur est unchallenge pour vous, qui incarnez une vertu quasi sans faille : vous n’avez guère joué qu’un seul méchant, pour Robert Zemeckis dans Apparences
Le Colonel Graff a une tâche délicate à accomplir, qui reflète la difficulté du devoir  militaire. Il est à la fois un manipulateur et un mentor. La vie sur Terre, ou plutôt la survie, est son objectif. Il est en charge d’éviter un désastre planétaire.

Quel qu’en soit le prix  ?
Il y a toujours plusieurs versions de « quel qu’en soit le prix ». Vous savez, c’est une fiction. Mais peut-être que l’enjeu est une métaphore de notre comportement déplorable envers la nature. Peut-être qu’au fond, nous sommes les insectes belliqueux venus d’ailleurs, décidés à détruire nos propres ressources en eau, en végétation, en nourriture… Tout ça au profit d’une humanité qui ne s’intéresse qu’aux machines.

En parlant de ce rapport entre hommes et machines, éprouvez-vous une différence dans votre façon de travailler à Hollywood à l’ère numérique ?
Vous savez, il y a vingt ou trente ans, quand vous tourniez un film sur la seconde guerre mondiale, au volant d’une jeep avec une bande de soldats autour de vous, vous regardiez en face et vous aviez un énorme camion où était installée la caméra, avec neuf types de l’équipe technique, occupés à manger leur déjeuner. Est-ce que c’était un problème ? Non, et ça ne devrait jamais l’être. Vous utilisez votre imagination. Non pas en essayant de voir ce que vous ne voyez pas, mais en cherchant à l’intérieur de vous-même un conflit, et en éprouvant la volonté de le surmonter.

Une telle méthode de concentration semble particulièrement appropriée à La Stratégie Ender, où il est question de faire la guerre par la puissance de la volonté. Vous approchiez le jeu de cette manière avec Gavin Hood ?
Non, Gavin est un type très intelligent, mais nous ne discutions jamais sur un niveau théorique.  Concernant les décors, j’ajoute que beaucoup de plateaux « physiques » ont été utilisés sur La Stratégie Ender, les fonds verts n’ont servi qu’à l’étendre.

Vous aimez finalement ce personnage moralement ambigu ?
Ce n’est pas mon travail de me poser cette question de « l’amour » d’un personnage. Je dois le comprendre, lui et sa fonction dans le scénario. Mais l’aimer, ce n’est pas mes oignons. La question ne me traverse jamais l’esprit, d’ailleurs. Je ne suis pas le genre d’acteur à dire : « mon personnage ne devrait pas faire ci, ou devrait faire ça ». Un personnage, par-dessus tout, est au service d’une histoire.

Vous voyez une connexion avec l’autre chef militaire que vous incarniez dans K-19  de Kathryn Bigelow ?
Les deux font face à dilemmes moraux très complexes, et évoluent dans des contextes militaires qui sont étonnamment familiers, je le reconnais.  Mais il s’agit d’individus différents, donc je n’aborde pas le jeu en établissant une relation entre eux. Je n’ai même pas besoin d’une telle comparaison mentale pour jouer : les  films ont leur propre langage, parfaitement non-verbal, et qui consiste à vous faire identifier des situations en vérité universelles.  Donc, pas besoin de renvoyer à d’autres films, d’autres rôles.

Vous n’avez donc pas de modèles, en tant que simple spectateur ?
Je ne suis pas du tout cinéphile, vous savez. Je n’ai pas grandi avec le cinéma. C’est simplement qu’à un certain moment de ma vie, j’ai eu besoin de gagner ma vie avec. Je suis très content quand j’apprécie réellement un film, mais pour tout vous dire, ça m’arrive très rarement. Ah, récemment, j’ai adoré The Place Beyond The Pines : très bon casting. Mais d’habitude, quand je vais au cinéma, c’est avec mon fils de douze ans. J’ai vu Harry Potter 7 environ six fois. Les films ne font pas partie de mes divertissements favoris.

Qu’est-ce qui vous divertit, alors ?
Faire la vaisselle.