La Vénus à la fourrure commence comme commençait « Au théâtre ce soir », et se conclut sur l’image d’Amalric ligoté sur un cactus géant en forme de phallus. Entre les deux ? Une grasse leçon de féminisme, adaptée d’une pièce de théâtre anglaise. Vanda, une comédienne un peu mijaurée, arrive en retard à l’audition d’une adaptation théâtrale du roman de Sacher-Masoch. Le metteur en scène, Thomas, misogyne et pédant, est d’abord horrifié par sa vulgarité et la prend de haut avant de se laisser doucement séduire par cette pimbêche aux intentions a priori peu claires : masochisme oblige, la folle ingénue est en fait là pour donner la fessée au macho-man.


La situation générale est lue, parallèlement, de deux manières. La première est celle de Vanda : l’air ingénu, elle ne cesse de vouloir trouver un message à la pièce, la qualifiant ici de sexiste, y voyant là un discours sur la maltraitance des enfants. Ce qui énerve profondément Thomas, lequel s’en prend à une époque habituée à tout ramener à une lecture sociale. L’autre lecture, c’est la sienne, celle du metteur en scène, estimant monter une pièce dénuée de tout message, ne savourant les histoires que depuis le ciel de l’Art, dégagé de tout contexte, se gardant bien de voir dans le roman de Masoch un écho à sa propre vie – ce que Vanda finira par lui faire découvrir. Cette oscillation d’une lecture à l’autre constitue un enjeu plutôt stimulant, mais vite délaissé pour faire place au programme féministe et vengeur, donnée d’emblée malgré l’apparente complexité du film.

 
C’est ce qui étonne le plus dansLa vénus à la fourrure : ce mauvais mélange entre la caricature boulevardière des personnages (la pimbêche vs. le macho) et la subtilité des rapports de pouvoir en jeu chez Sacher-Masoch, où l’homme domine par son plaisir à se faire dominer, conclusion ici simplifiée à outrance par un cinéaste se vantant de n’avoir jamais lu le roman en question. De fait, l’échec du film est à mettre sur le compte de la médiocrité des dialogues de la pièce, trop ouvertement boulevardiers, quand ils ne s’aventurent pas carrément sur le terrain de dramaturge d’un Laurent Ruquier (des choses du genre : « avec votre Marie-Cécile, vous discutez du dernier Goncourt  et puis vous tirez votre petit coup avant de vous endormir »). L’autre problème, c’est le jeu exagérément artificiel de Seigner, qui ne sait plus où caser ses « genre »,  tandis qu’Amalric trouve un rôle un peu trop à la mesure de son jeu d’intello déjanté.


Difficile de mener à bien une victoire féminine véritable dans ce huis clos mal foutu, et c’est plutôt un problème pour un film revendiquant, dès la laideur publicitaire de son affiche, une lecture féministe radicale et couillue façon « les femmes prennent le pouvoir ». Le subtil cheminement amenant à la domination de Thomas par Vanda n’a, en fait, pas lieu : les deux personnages ne se rencontrent pas, ils ne sont que les rouages d’un propos oiseux et fixé d’emblée – alors que le film vise le coup de théâtre en soi, façon Le Limier de Mankiewicz. Lui est, dès les premières lignes du dialogue, évidemment puni pour sa haine des femmes et son appartenance à une élite snob. Elle, est condamnée à à la schizophrénie entre son rôle de conne et son rôle de déesse de la vengeance. Vanda n’a jamais voix au chapitre, de sa bêtise à sa ruse son personnage dissone trop pour exister  autrement qu’une petite machine théorique.


Ainsi la dialectique maître-esclave n’est-elle consommée qu’hypocritement : Amalric va de surprise en surprise (s’exclamant « Ah mais en fait vous êtes cultivée ! Ah mais vous avez lu le livre ! »), face à Vanda qui n’est crédibilisée et vengée qu’à condition de se peler entièrement de sa peau d’idiote – on est loin de La revanche d’une blonde, et les deux pieds dans le grand-guignol culturel. La revanche féminine, in fine, ne peut advenir qu’à la condition que Thomas le veuille bien, c’est-à-dire qu’il veuille secrètement, à l’instar de Séverin, se faire castrer par Vanda. On comprend alors que le masochisme est mobilisé par le film comme un mécanisme par lequel faire avaler ce renversement paresseux. Dans ses entretiens, Polanski explique que le film « va plaire aux femmes », comme s’il venait leur tendre une bonne gamelle de féminisme. Pas sûr que cette gamelle aurait eu plus mauvais goût s’il elle avait été cuisinée par Isabelle Mergot ou Pierre Palmade.