Après son démarrage en fanfare en deux temps, le premier en duo avec le batteur Sylvain Ghio (Takes 2 to know 1), le second dans un solo décapant (Variations), Yarmon Herman est passé, on s’en souvient, au trio : c’était l’excellent Time for everything, avec deux musiciens de sa trempe et de sa génération, Gerald Cleaver à la batterie et Matthew Brewer à la basse. Dans un paysage contemporain déjà bien occupé (Brad Meldhau côté romantique rebelle, Happy Apple côté power trio, feu Esbjörn Svensson côté nouvelle vague électrisée) et avec en arrière-plan quelques références à peu près explicites (Keith Jarrett), le jeune pianiste israélien, 29 ans cette année, était parvenu à trouver un sillon parfait, à la fois dans l’air du temps (effluves pop, répertoire qui va musarder du côté de chez Björk, reprise très sérieuse du « Message in a Bottle » de Police), dans la déférence à l’égard des classiques (au sens premier du terme, avec un détour par Scrabine, et au sens large, avec des clins d’œil repérables au grand Keith) et impeccablement personnel pourtant. C’est dire si on avait hâte de l’entendre de nouveau dans cette formation. Pour la suite de l’aventure, donc, Herman a vu grand, comme on le découvre d’entrée avec le titre éponyme, Muse : délicates broderies sur soyeux tapis de cordes, celles du quatuor Ebène (Pierre Colombet et Gabriel Le Magadure violon ; Mathieu Herzog, alto ; Raphaël Merlin, violoncelle). Surprise : on ne l’attendait pas là, dans ce contexte classieux, un peu empesé.

Utile ? Pas sûr sur cette plage d’ouverture ; le quatuor disparaît d’ailleurs au bout de quelques instants, lorsque le trio se lance dans une reprise sage d’abord, plus vivante ensuite du « Con Alma » de Gillespie. On retrouve alors ce qui séduisait dans Time for everything : le drumming foisonnant de Cleaver, les lignes souples de Brewer, la cohésion et la densité du jeu de ce triangle impeccable, avec ici et là les tentations classiques lointaines du leader, qu’il ne faut pas confondre avec un goût de la joliesse. Plus loin, le quatuor revient dans « Isobel », reprise de Björk (décidément) : là, dans un contexte pop, où l’imagination d’Herman est à son meilleur, l’intrication des cordes et du trio produit son meilleur, et efface toutes les réserves. Pour l’auditeur, c’est le même sentiment de facilité insolente, de brillance, de variété (éclats binaires, minimalisme à la EST, virages plus mainstream, Herman nous balade, joueur), de plaisir (évidemment : ce « plaisir de l’absence du temps » que décrit l’intéressé dans le petit texte qui accompagne le disque, tout en s’excusant, mais à tort, de « parler bien mieux avec son piano » qu’avec son stylo) que dans l’album précédent, même si se fait sentir aussi cette fois l’impression que le groupe voulait passer aux choses sérieuses, bâtir plus délibérément, selon un plan soigné. Muse, premier « grand oeuvre », album de la « maturité », ainsi que le laisse à penser ce quatuor à demi convaincant (dans l’intention, s’entend) ? Peut-être est-ce cette idée qu’un peu de la fraîcheur des trois premiers disques s’est perdue au passage qui fait qu’on est moins uniment enthousiaste. Ou plutôt, enthousiaste différemment : car il va sans dire qu’au-delà de ce sentiment mêlé on est emporté par le torrent Muse, excellent disque qui confirme la stature de l’excellent Herman.