Des remous post-punk aux avant-gardes électroniques (via les escapades de Bruce Gilbert en solo ou ramifié à Graham Lewis sous le nom Dome), Wire scande depuis près de trente ans ses slogans féroces. En guise de célébration de cette carrière jalonnée de flirts avec l’art conceptuel et la danse contemporaine, Mute nous gratifie d’un DVD doublé d’un CD live témoignant de cette cohésion à toute épreuve. Une hardiesse inextinguible qui n’a rien d’un simulacre et renvoie la plupart des succédanés formule 2005 jouer aux billes avec leur crotte de nez. Signe des temps ? A l’âge du bien-emballé-vite-consommé, les groupes sous tutelle médiatique peinent à s’affranchir de leurs pygmalions, tandis que les vétérans Wire persistent à aller de l’avant sans perdre une once de leur intensité d’origine. Avec la même concision qu’à l’âge ingrat, les quatre acolytes jouent toujours ce qu’ils se plaisent à décrire avec un soupçon d’ironie comme du « heavy metal dancefloor », habité par une vitalité et une urgence qui relèvent autant du punk rock que de la dance de Saint Guy. Leur propension à concilier astuce intellectuelle et énergie viscérale les a cependant tenu à distance des stéréotypes véhiculés par la mythologie rock. Pas de pose ni d’ornements, pas de gros titres dans les tabloïds, mais un charisme souverain et une ténacité qui force le respect.

Mieux qu’aucun autre groupe, Wire a l’art de ménager les tensions, comme en témoigne ce live au Triptych Festival à Glasgow en avril 2004. C’est l’obscurité totale sur scène et dans la salle. L’espace est envahi par la pulsation syncopée d’une basse. Le public trépide d’impatience. Stridences métalliques, vagues de feedback. Des flashs de lumière laissent entrevoir par intermittence des ombres indistinctes investir posément la scène. Colin Newman, le chanteur, dégaine son micro. « Come thick night, and pall thee in the dunnest smoke of hell. » Le vrombissement de basse enfle, la guitare monte en puissance. La tension est à son comble. Allez, allez, les gars. Quand Robert Gotobed attaque ses fûts, c’est l’explosion. Des early tracks millésimés 1977 (Strange, 106 Beats that, Pink flag…) aux salves récentes de l’album Send (99.9, Mr Marx’s table, The Agfers of kodack, Comet, In the art of stopping…), Wire dégoupille grenade après grenade sans un instant de répit. Pas de fioritures, tout est net, carré, sans bavures. Hormis le véloce Colin Newman, crachant sa bile et bondissant comme un lapin, les trois autres larrons demeurent imperturbables, sculptures de marbre stoïquement rivées à leur instrument. La réalisation sobre de Tom Gidley, antithèse du style MTV, préserve la densité de l’espace scénique en cadrant au plus près les musiciens (mention spéciale à l’impressionnante gymnastique faciale de Graham « Mr Propre » Lewis sur The Agfers of kodack). Pas de place pour la diversion, le réalisateur fait ressortir la concentration à son paroxysme, amplifiée par les chromatismes du jeu de lumières, oscillant entre bleu nuit et rouge incandescent. Un live grisant, sans doute l’un des meilleurs jamais enregistré par le groupe.

En bonus, ô joie, on découvre quatre morceaux extraits de leur performance au Barbican à Londres en avril 2003. Un concert exceptionnel au service d’un dispositif scénique réalisé par la plasticienne Es Devlin, qui évoque un croisement entre, disons, une installation de Bruce Nauman et l’Académie des 9. Les membres du groupe sont enfermés individuellement dans un alignement de cubes transparents sur lesquels sont projetés par intermittence les vidéos d’un détail de leur visage (bouche, nez, oeil), quand ce n’est pas leur électrocardiogramme. Un condensé de nervosité rock et d’innovation esthétique résumant l’esprit si particulier du groupe. La classe, tout simplement.