Les sorties successives, l’année dernière, du Spectrum de Quannum puis du NIA de Blackalicious ont aidé -un peu- à sortir le label san-franciscain Solesides de l’ombre gigantesque de Josh Davis, aka DJ Shadow. Cette quadruple compilation (double en CD) poursuit sur la lancée de ces deux albums, et tente auprès du public européen de remettre une bonne fois pour toutes les choses au point à propos de ce label. Car si chez eux, aux Etats-Unis, les artistes Solesides sont simplement ignorés (on cherchera en vain leur nom sur la couverture de The Source), chez nous, leur demi-succès repose sur un malentendu, ce qui est bien pire : pour se débarrasser de l’insuccès, il ne suffit, précisément, que d’avoir du succès (Xzibit, dont on attend l’album produit par Dr Dre pour les prochaines semaines, est en train de le prouver) ; il faut bien plus pour se débarrasser d’une mauvaise étiquette -surtout quand elle est démodée.

Réunis autour de l’intransigeante figure de DJ Shadow, Lateef et Lyrics Born (les admirables Latyrx), Chief Excel et The Gift of the Tab (alias Blackalicious) ont eu la malchance, en 1994-1995, d’être raccrochés, par pure facilité, au bandwagon trip-hop. Ils ont depuis toutes les peines du monde à quitter chez nous le triste voisinage des compilations Pussyfoot et du ventre mou des programmations Nova pour regagner leur territoire naturel, celui d’un hip-hop fidèle à ses racines -c’est-à-dire plus Adidas que Versace. Cette compilation est l’occasion d’écouter leur presque dix ans d’histoire musicale avec des oreilles neuves ; et de les replacer à leur véritable place, aux côtés de leurs potes de la Côte Ouest Hieroglyphics, Jurassic 5 ou Quasimoto.

Et, en quatre disques, c’est peu dire que l’exercice est concluant. Toute la diversité et la cohérence de ce label de puristes sont ici illustrées : les monstrueux breakbeats de Shadow (dont le légendaire premier EP Entropy figure ici dans son intégralité), le flow heurté et les basses 80s de Latyrx, la quasi-totalité du Melodica EP de Blackalicious qui, sorti en Europe sur Mo’Wax en 1994, eut le tort d’être trop rap pour le public trip-hop, et trop marqué trip-hop pour le public rap, le tout entrecoupé de freestyles live de tous les MCs du label. Cette compilation pourra-t-elle lever la malédiction qui au cours des années 1990 a fait de San Francisco la capitale de l’innovation en matière de hip-hop et des carrières commercialement décevantes ? On peut en douter. Mais peu importe : il y a là largement de quoi nous faire danser pendant tout l’hiver, et même après. Alors profitons-en.