Délaissé discographiquement pendant toute la première partie des années 1990, le djaying hip-hop a connu depuis un renouveau qui a vu se multiplier les disques célébrant ce mouvement désormais connu sous le nom de turntablisme. Ces disques peuvent se ranger en trois catégories : ceux qui, fidèles à l’esthétique originelle des block-parties, ne visent qu’à faire bouger les pieds et hocher les têtes, ceux qui s’efforcent en plus d’apparaître comme des compositions musicales originales et ceux qui, enfin, privilégient la retranscription des faits d’armes des virtuoses de la platine, sans forcément rechercher l’imprimatur des dancefloors.

Cette Musique inspirée par le film Scratch (cf. la chronique du film) appartient plutôt à la troisième catégorie. Parsemée d’extraits d’interviews de Grand Wizard Theodore, Cut Chemist ou Mixmaster Mike tirées du film-témoignage de Doug Pray, elle offre à la jeune génération formée par les Invizbl Skratch Picklz ou les X-Ecutioners l’occasion de se mesurer à ses glorieux anciens Bambaataa ou GrandMixer DXT, sous le regard bienveillant derrière la console du vétéran White Panther funk Bill Laswell, déjà producteur du séminal Rock it d’Herbie Hancock et Grandmixer DST (ensuite DXT) qui, comme le montre le film, fut la matrice de nombre de vocations de scratcheur fou. Le disque donne d’ailleurs de ce titre aujourd’hui légendaire une version remixée longue de huit minutes avec un casting de rêve autour de DXT et Hancock (Mixmaster Mike, Rob Swift, Q-Bert, Babu, Faust et sa dulcinée Shortee), qui ravira les dancefloors néo-electro.

Les amateurs trouveront également des exemples particulièrement impressionnants de beat-juggling des Skratch Picklz Mixmaster Mike et Dj Disk, extraits d’un enregistrement de Praxis, le projet multiforme de Bill Laswell qui avait déjà donné aux Picklz l’un de leurs premiers enregistrements discographiques en 1996, ainsi qu’une jouissive parodie de l’introduction du Liquid sword de Genius/GZA en guise d’intro au Crazy 2 crazy de DXT (« My father was the greatest Dj […] / He could cut off the beats of a hundred and forty four records… »). Et une battle entre Dj Premier et les X-Ecutioners dans la grande tradition du hip-hop des débuts (en réalité un petit combat de championnat du monde plutôt que le Rumble in the jungle que l’affiche laissait espérer). On retrouve également ce dernier morceau sur l’album des X-Ecutioners.

Mais ce disque permet aussi de constater les limites inhérentes au genre turntabliste, qui doit souvent sacrifier le groove aux impératifs de la performance : si en effet la virtuosité des enchaînements et des gestes techniques des Djs actuels est toujours impressionnante à observer et à écouter live, elle perd singulièrement de son relief ramenée aux deux dimensions d’un disque fait pour être écouté chez soi. Ce à quoi on ajoutera (pour les anciens rockers) que l’on n’a pas remisé son air-guitare au placard pour en sortir une air-platine afin d’imiter devant sa glace une virtuosité dont on s’est toujours moqué chez les Satriani ou Yngwie Malmsteen. Les Skratch Picklz, qui de tous sont les plus techniques et les plus experts en déconstruction de beats, sont aussi ceux dont les productions souffrent le plus de ce phénomène (cf. la reprise ici de leur classique Invasion of the octopus people). Au contraire d’un Rob Swift qui, avec un My style épuré, confirme tout le bien que l’on pensait de son touché fluide (The Ablist, son album solo de 2000, est sans doute à ce jour l’album de turntabliste le plus musical). Excellente manière de finir cet album inégal mais suffisamment varié pour convenir au vrai fan de culture hip-hop.