Signé sur Ninja Tune depuis le milieu des années 90, The Herbaliser, combo à géométrie variable et aux idées larges, vient de poser dans les bacs avec la finesse qu’on lui connaît, ce qui n’est autre que la pièce maîtresse d’une discographie déjà remarquable. Something wicked this way comes est un bout d’univers encore inexploré, la bande originale d’un film qui n’existe pas, un creuset secret ou s’entrechoquent dans un ordre finement pensé les guitares funky de l’Amérique version seventies, les effluves de quelques bandes originales des films de la même époque, la versatilité des flows des rappeurs anglo-saxons, la finesse des arrangements des compositions de Bernstein, la stupidité joviale des interludes piochés dans le monde des dessins animés, l’intelligence de la production du hip-hop version San Francisco… Et un raton-laveur.

Un oeil rivé sur l’énergie du rap, l’autre lorgnant vaillamment vers le groove poussiéreux des B.O. de films tendance Blaxploitation, ce nouvel album résonne entre nos oreilles comme un gigantesque inventaire de ce que « groover » veut dire. Explorant une variété de plans basse/batterie piochés ça et là au long de la très riche histoire du funk, saupoudrant le tout d’envolées de cordes luxueuses fortement compressées, s’amourachant d’un verbe véhément poussé par le flow d’Iriscience (Dilated Peoples), Something wicked… sonne comme un tout étrange mais cohérent, un patchwork d’électronique et d’acoustique qui cache son jeu derrière une orchestration impeccable. Mués en chefs d’orchestre grandiloquents, épaulés par le Herbaliser Band -composé de trompettes, trombones, saxophones, pianos, batteries, basses, voix, guimbardes, guitares, cloches et sampleurs et de quelques raton-laveurs supplémentaires-, Jake Wherry (bassiste) et Ollie Teeba (maître ès-scratch-scratch-scratch) ont conçu là, en deux années de travail et de composition acharnée, ce qui n’est autre que l’opus majeur vers lequel tendait sans y parvenir totalement l’ensemble de leurs productions depuis le Remedies de 1995.

Au milieu de ce fourmillement d’idées, les voix jouent un rôle central. Qu’elles soient utilisées pour leur aspect rythmique, comme celle de Blade sur Time 2 build, ou comme élément mélodique, les voix de ce disque participent à la construction d’étranges sinuosités, d’excroissances musicales qui distendent et déchirent le calme apparent de cet univers. On notera à ce chapitre une participation remarquable des anglais de Phi-Life Cypher sur le superbe Distinguished jamaican english. Sans laisser de côté un certain humour qui les accompagne depuis leurs débuts, les deux compositeurs ont su synthétiser la multitude de leurs influences en une production novatrice, tour à tour majestueuse (Worldwide connected), funky à souhait (Turnaround), étrangement douce et légère -en dépit du grand nombre d’instruments utilisés (harpe, piano, cordes, batterie, basse, voix…, sur Something wicked)-, ou encore grinçante et poussiéreuse (Good girl gone bad). Une plaisanterie éminemment sérieuse, en somme, à l’image de Verbal animé, qui, à cheval sur sa rythmique, se hisse hors des baffles en s’appuyant par à-coups sur un sample joyeux, évoquant immanquablement le suspense débile d’un dessin de Tex Avery, lorsque le gros bouledogue, abruti et maladroit, renifle la piste du chat maudit au péril de sa vie.

Bien plus que des producteurs de hip-hop, Ollie Teeba et Jake Wherry sont des créateurs d’univers, de laborieux ouvriers de la clef de sol, tissant des atmosphères violemment grandioses, étrangement minimalistes, suaves et tranquilles, rêches, sinueuses et impossibles. Mais la vérité, c’est que Somethnig wicked this way comes est un rêve.