Coup double pour John Law qui, quelques mois après un remarquable Abacus (en quartet avec Jon Lloyd, Tim Wells et Gerry Hemingway, sous le label HatHut), livre simultanément un nouvel album en solo (Solitudes, premier épisode d’une série placée sous les auspices conjugués du jazz et de la musique contemporaine) et, avec The Moment, neuf compositions inédites en trio et quartet avec son contrebassiste privilégié Tim Wells, le batteur Dave Wickins et, sur trois thèmes, le saxophoniste Tim Garland. Dans un cas comme dans l’autre, on retrouve la propension du pianiste britannique à mêler une sensibilité classique héritée d’un brillant parcours académique (études instrumentales et harmoniques à Londres, passage à Vienne où il est l’élève du maître Badura-Skoda) à la pulsation d’un jazz dont il fréquente le versant européen depuis 1986, époque de la formation du trio Atlas avec Paul Rogers et Mark Sanders (parmi les récents enregistrements du groupe : Trio Improvisations). Pionnier des défrichages musicaux modernes, notamment dans ses travaux avec le percussionniste sud-africain Louis Moloho et avec son confrère saxophoniste Jon Lloyd, mais aussi au gré de collaborations avec Evan Parker ou David Murray et d’un duo de pianos avec Keith Tippett, John Law n’en a pas moins toujours continué de goûter un classicisme se référant au vingtième siècle (voir notamment, dans Solitudes, une improvisation basée sur une oeuvre de György Ligeti) aussi bien qu’aux musiques médiévales (sa trilogie Chants, de 1994 à 1997).

The Moment, placé sous l’égide du Faust de Goethe (« If I could say to the Moment : Stay a while, you are so beautiful »), a été partiellement inspiré par la découverte des voies musicales ouvertes par le pianiste Antonio Zambrini (la composition inaugurale, A-Z, lui est dédiée), lors d’un festival italien en 1999 ; comme lui, Law participe d’une constellation pianistique à laquelle on pourrait associer, d’une certaine manière, le romain Enrico Pieranunzi et, peut-être, Brad Meldhau. Tous poursuivent, à leur façon propre et avec des résultats divers, le projet d’une imbrication des techniques et sensibilités respectives du jazz et de la tradition classique européenne. The Moment constitue à ce titre un jalon non négligeable d’un travail engagé depuis plusieurs années par Law avec Wells, Alec Dankworth, Paul Clarvis ou Dave Wickins ; d’une grande élégance dans l’interprétation (solistes comme rythmique), il donne également à entendre des compositions qui sont parmi les plus réussies du pianiste anglais.