Syd Barrett est le Rimbaud de l’acid-rock. Ses oeuvres-illuminations –Arnold Layne, See Emily play et l’album du Floyd The Piper at the gate of dawn– sont parmi les plus beaux spécimens de rock psychédélique anglais. Enregistrée entre 1968 et 1970, son oeuvre solo reste un témoignage unique sur la lente désintégration d’un artiste dans l’acide et la schizophrénie. La quasi intégralité de ses enregistrements a été publiée en 1993 dans le coffret Crazy diamond, réunissant l’ensemble des sessions de The Madcap laugh et de Barrett. La sortie de la compilation Wouldn’t you miss me ? n’offre donc rien de nouveau, excepté un inédit assez anecdotique (Bob Dylan blues) que David Gilmour gardait dans ses archives. Wouldn’t you miss me ? donne cependant un panorama assez exhaustif de cette dérive inexorable dans la folie, en plaçant l’auditeur dans une situation de voyeurisme fascinante et morbide. Retour sur un brain damage.

En 1967, Syd Barrett est complètement broyé par le succès des Pink Floyd. En moins d’un an, il est passé du statut d’acid-freak à celui de pop-star, des concerts-happenings à l’UFO -la Mecque de l’underground londonien- aux plateaux de Top of the pops… Syd Barrett ne joue plus le jeu promotionnel dicté par EMI : il sabote méthodiquement toutes les apparitions télévisées du groupe. Plus grave, il n’est plus capable de jouer sur scène. Sa santé mentale devient préoccupante : ses nombreux abus chimiques (Mandrax, LSD) ne font qu’exacerber les névroses de son enfance. La tournée américaine des Pink Floyd doit être annulée après quelques dates. Finalement, Syd Barrett est remplacé temporairement par Dave O’List puis définitivement par son vieil ami David Gilmour. Syd Barrett n’a que 21 ans et il sombre déjà dans la schizophrénie. Les paroles de sa dernière composition pour le Floyd, Jugband blues, résonnent comme un aveu d’une incroyable lucidité : « It’s awfully considerate of you to think of me here/And I’m much obliged to you for making it clear/That I’m not here ».

Exclu de son propre groupe, Syd est repris en main par le premier manager des Pink Floyd, Peter Jenner, qui voit en lui l’unique talent créatif du groupe. En 1968, Barrett et Jenner entrent à Abbey Road pour commencer l’enregistrement de ce qui deviendra The Madcap laughs. Ces premières sessions sont assez peu fructueuses. L’album est finalement enregistré un an plus tard, grâce à la patience et la persévérance de trois producteurs successifs. Excepté le sublime Golden hair, l’ensemble est extrêmement incohérent, comparé aux fulgurances impeccables du premier Floyd : les arrangements sont flottants, les paroles parfois totalement confuses (Octopus est le single le plus surréaliste de l’histoire du rock) et sa voix déglinguée en dit long sur son état mental (Long gone). Syd Barrett semble toujours aussi inspiré mais un chaos intérieur le mine irrésistiblement (« Inside me I feel alone and unreal », nouvel aveu sur Late night). Barrett, son deuxième album, bénéficie d’une meilleure production (Gilmour et Waters supervisent toutes les sessions) et ses thèmes de prédilection semblent retrouver une seconde vie : les comptines pour enfants inspirées par Lewis Carroll (Effervescing elephant) et ses délicates et incroyables histoires d’amour (Wined and dined, Waving my arms in the air). Puis, un projet d’album avorte en 1974 : Syd Barrett est incapable de jouer, il est passé de l’autre côté du miroir. Wouldn’t you miss me ? La réponse se trouve dans les 22 titres de cette compilation.