Infatigable, album après album (18 déjà sur le label ECM), Stephen Micus continue de collectionner les instruments du monde pour tirer d’eux une sorte d’univers poétique inclassable, à la fois extraordinairement savant et curieusement naïf, mélange improbable d’ethnomusicologie pointue, de spontanéité libertaire un peu datée dans son esprit mais néanmoins charmante, et d’une sorte d’écologisme mystique qui fait de chacun de ses disques la bande-son idéale pour un retour vers soi et une pensée émue pour la place qu’on occupe dans l’univers. Pas vraiment barde, pas vraiment baba, Micus est finalement un aventurier et, mine de rien, l’inventeur d’un monde musical beaucoup plus inédit qu’il pourrait y paraître (impossible de confondre ses disques avec telle ou telle galette piochée dans les rayons « world » de nos magasins spécialisés), et qui fait qu’on l’identifie dès les premières secondes à chaque fois. Snow (« Pour moi la neige est un des phénomènes naturels les plus merveilleux qui soient », affirme-t-il benoîtement pour expliquer son titre) a été conçu à la suite d’un long voyage d’étude entamé après la sortie de son précédent album, On the wing, en 2006 : en 4×4 et à pied, Micus a parcouru l’Arménie, le Caucase et l’Azerbaïdjan, dans l’idée de découvrir de nouvelles techniques musicales et d’approfondir celles qu’il maîtrisait déjà, comme le duduk (un instrument traditionnel arménien à deux anches, classé au patrimoine de l’Unesco).

On ne résiste pas, comme d’habitude, au plaisir d’énumérer les instruments retenus par le musicien pour ce nouveau disque, inventaire à la Prévert dans quoi semblent se condenser tous les sons de la planète : duduk, donc, mais aussi cithare bavaroise, guitare, charango (guitare sud-américaine qu’il pratique pour la première fois), ney, cymbales tibétaines, duduk basse, maung, gong, doussn’gouni, sinding, tympanon et, bien sûr, voix (au pluriel, enregistrées les unes par-dessus les autres pour des choeurs puissants et envoûtants, technique pour laquelle il s’est rendu quatre fois en Géorgie afin d’étudier le chant choral). La méthode n’a pas changé : Micus pratique tous les instruments lui-même et enregistre sans partition, en improvisant directement en studio ; chaque instrument est joué indépendamment de son contexte « national » et culturel, détourné, approprié, personnalisé, jusqu’au refaçonnage pur et simple s’il le faut (il arrive souvent à Micus d’en faire fabriquer sur place des versions spéciales, notamment pour qu’ils descendent davantage dans le grave : « Les artisans commencent toujours par froncer les sourcils, mais le plus souvent leur scepticisme fait place à une excitation grandissante une fois qu’ils entendent le son du nouvel instrument et prennent conscience de ses potentialités »). Comme toujours, les sceptiques auront beau jeu de ne voir dans ce long moment d’œcuménisme mondialiste qu’une séquelle fossilisée des grandes mythologies écologiques post-soixante-huitardes, en reconnaissant éventuellement à l’artiste le mérite de la constance. Mais on peut aussi choisir de se défaire de ses préjugés et d’accueillir Snow comme une œuvre de poésie naïve et naturaliste, à écouter en lisant par exemple un texte de Thoreau. Pourquoi pas ?