Après la compilation papier peint que le label Catalogue nous avait livré cet automne, on a vu arriver l’album de Sporto Kantes d’un œil dubitatif. Enième resucée post-french-touch, musique pour infographistes, ou réel espoir électronique ? Ce premier album du duo formé par Nicolas Kantorowicz et Benjamin Sportes vient heureusement invalider nos préjugés (et notre snobisme latent ?). Après deux maxis remarqués, ce premier opus ne manque pas en effet de singularité, et dessine une entreprise musicale sachant marier hédonisme et exigence.

Appelons ça de l’ »abstract soul », comme le suggère la bio de presse, pour définir une musique à la fois désincarnée, parce qu’essentiellement produite par le jeu du sampling et du séquençage, et émotionnelle, pour la richesse et la chaleur des sonorités sélectionnées. Tout l’album semble osciller entre ces deux tendances : des patterns issus du meilleur répertoire reggae-dub-funk-blaxploitation-easy-listening sont combinés et assemblés en structures répétitives ou évolutives pour former des morceaux dansants ou mid-tempo à la fois chaleureux et figés. On a d’un côté la prise de sons 60’s-70’s, ce rendu nasillard ou arrondi si typique des disques les plus roots de nos discothèques : les basses blaxploitation, les guitares bossa, les flûtes traversières (Party), les percussions orientales (XX live), les cuivres jazz hispanisants à la Concierto de Aranjuez (Mundo), la musique des BO de gialli italiens, un sample de Yma Sumac (18h27°), des rythmiques easy sexadelic à la Vampyros Lesbos (Oh nuit), des standards Trojan remaniés par la modernité (Buster). De l’autre côté, les boîtes à rythmes, les boucles, les effets, les pitchs et les échos : le travail de découpage, d’assemblage et de transformation de ces multiples pièces en un tout organisé pour produire un morceau de musique « électronique » en l’an 2001. On est à la fois dans la réminiscence, le clin d’œil, et dans l’extrême contemporanéité d’une certaine dance-music, simple et funky, tranchante et stéréotypée.

Le duo s’escrime avec une certaine réussite à marier ces éléments hétéroclites et érudits en autant de compositions originales, en y apposant leur cachet, une mélodie, une voix : une espèce d’Horace Andy discret sur XX Live (qui rappelle effectivement le trip-hop de Massive Attack, la dangerosité en moins), une voix féminine subrepticement pitchée qui chante en espagnol sur Mundo, un MC rasta qui commence un flow et ne l’achèvera jamais (Nickson). Les « chansons » sont toujours au bord de la rupture de mélodie, de l’enfouissement sous le son, ou de la désintégration dans un effet de réverbération, mais tiennent tant bien que mal debout, dans une évidente simplicité héritée des standards de la soul noire américaine ou du reggae roots. Seul bémol : le côté par trop figé parfois de ces morceaux, comme engoncés dans leurs petites cases Cubase.

La modernité de ce travail de remémoration, sa texture contrastée (le grésillement du vinyle et le poum-tchak de la Roland), rappellent le travail de Moby, par certains aspects. La même manière d’insuffler de l’ancien dans le nouveau, avec cette caractéristique supplémentaire : une légère tendance à la fumette. Act.1 s’écoutera idéalement sous l’effet de substances récréatives : pour ses petits détails sonores surprenants et stimulants, ses réverbs dub, son côté langoureux et percussif, sa gaieté un peu tordue. Parfois, comme du Le Tone sous skunk ou du Mr Quark embrumé, pour citer des références françaises.

Donc, après un instant de méfiance, Act 1 laisse présager des aventures électroniques excitantes. Et on attend de pied ferme les prochains albums de Bosco et Mr Quark.