Guess Who’s Back… (Part 1) : c’est de retours que l’on va parler cette semaine. Du retour des vétérans de Houston Willie D, Scarface et Bushwick Bill, alias les Geto Boys, un peu plus loin, et, ici, du retour du cryptographe en chef de feu Rawkus Records, le fidèle assistant du Dr. Octagon dans son Oldsmobile bionique, j’ai nommé Sir Menelik, alias Scaramanga, alias Cyclops 4000, alias (etc., etc., etc.), dont le frêle esquif de métaphores mathématiques semblait avoir définitivement sombré dans le maelström discographique qu’a été la fin du label de Mos Def et Pharoahe Monch au début des années 00, peu de temps après avoir livré un unique album chez Sun Large sous le nom de Scaramanga (Seven eyes, Seven horns)…

Voire. Car, près de cinq plus tard, revoici la Space Cadillac de Sir Menelik qui resurgit des flots tumultueux du rap business US, tel un vaisseau fantôme aux voiles déchirées par le temps, pour nous proposer ce LP que l’on attendait plus du tout. Et pour cause : brinquebalant, mal fichu (4 de ses 16 morceaux sont des remixes), évidemment daté, cet album ne doit rien aux canons du hip-hop de 2005 : ici, point de refrains béats à la Kanye West, pas de gimmicks qui tuent arrosés de crunk juice, ni de dentelle electro crochetée par les Neptunes ; non, ici, ce ne sont que des purs morceaux de hip-hop underground millésimé mid-1990s, complets avec lyrics incompréhensibles, beats sales comme aux heures les plus sombres du Wu-Tang, et, évidemment, Kool Keith, le grand ordonnateur en dingueries en toutes genres de l’époque. Ce qui n’étonnera personne, car The Einstein rosen bridge n’est pas un album de 2005 : reprenant les principaux maxis (Space Cadillac, Physical jewels) que Sir Menelik donna à Rawkus de 1995 à 2000, c’est cet « album perdu » que la maison-mère des Soundbombing ne lui permit jamais de sortir que nous livre ici Sir Menelik.

Et c’est tant mieux, justement parce que, de nos jours, on ne fait plus vraiment de disques comme ça : avec ses titres énigmatiques (Terminator of criticism, Macroscope prod) et ses paroles pleines de formules mathématiques absconses, The Einstein rosen bridge appartient à cette école du rap US férue d’ésotérisme et de codes secrets dont le Wu-Tang Clan de la première époque portait fièrement le drapeau de fer, mais qui n’a plus guère sa place aux côtés de ces sommets d’explicitation pure que sont les disques de rap d’aujourd’hui. C’est un album qui vient de cette époque où le rap n’avait pas encore renoncé à être incompréhensible -au sens où nous sont incompréhensibles les Mystères de la Foi- et où le temple du Mcing était encore ce coin de rue que célèbre aujourd’hui le nouveau maxi de Common, aidé des Last Poets, et pas ce Club superlatif où se retrouvent désormais tous les titans de la scène US.

Mais ce qu’il y a de mieux, sur ce LP, c’est encore sa musique. Avec ses sept producteurs, véritable défilé des petits maîtres du hip-hop « alternatif » de la deuxième moitié des années 1990 (de Dan The Automator à l’El-P de Company Flow, en passant par Dj Spinna), ces morceaux nous rappellent combien cette forme de rap savait être musicalement inventive, et faire naître de nouveaux paysages sonores sans jamais oublier d’être funky -précisément ce qu’oublient bien des disques de hip-hop « alternatif » d’aujourd’hui. S’il suffit pour s’en apercevoir de réécouter les classiques de Sir Menelik réunis sur la seconde partie du disque (le diptyque koolkeithien Space Cadillac / So intelligent, Physical jewels en triple exemplaire), les autres morceaux, ceux de la première partie du disque, avec leurs scansions électroniques gorgées de bruit blanc et leurs ambiances étranges, parviennent (presque tous) à faire hocher la tête, tandis que déferlent les rimes rammellziennes de Sir Menelik.

Alors oui, bien sûr, si l’on regarde les choses objectivement, il y a beaucoup trop peu de nouveautés ici pour que l’on puisse véritablement parler d’un « retour », et sans doute y a-t-il trop de remixes pour que l’on puisse même parler véritablement d’un album. Eh bien tant pis. En attendant le prochain Quasimoto (qu’on espère meilleur que son maxi-carte de visite Bus ride, qui ne tient pas les promesses de sa splendide pochette -on en reparle très bientôt), (ré)écoutez Sir Menelik.