D’Alex de la Iglesia, on se souvient du moyen 800 balles, dont les fulgurances s’étouffaient peu à peu dans le rythme poussif d’un récit en forme d’erayonncéphalogramme plat. Le rythme, voilà bien le principal problème du cinéma de l’auteur de Mes chers voisins. Pour y remédier, peut-être, peut-être pas, Le Crime farpait se propose de ne lâcher à aucun moment son spectateur : une fois lancée, plus moyen d’arrêter la machine. Dès l’ouverture, le ton est donné : Rafael, séducteur et responsable du rayon femme d’un grand magasin, joue sa vie contre son grand rival, un frustré trônant dans le rayon homme, pour obtenir la direction de l’étage tout entier. La première partie est un régal où se déploient burlesque échevelé et gags crépitants : quadrillage de l’espace (le magasin transformé en terrain de stratégie militaire), lutte à mort entre les deux chefaillons et description jouissive des forces en présence.
Le film joue d’une sophistication qui le fait alors tendre vers une musicalité, un équilibre assez rares. Les passages d’une action à l’autre, la manière de jongler avec une multitude de personnages et d’enjeux relèvent d’un travail de régisseur et d’horloger : minutie des cadrages, élégance et fluidité des mouvements, euphorie d’un tempo qui s’étire entre accélérations et ralentissements de l’action. Le souffle de la mise en scène baroque et veloutée du cinéaste, dans ce petit jeu virtuose, n’a pas d’égal. Puis vient la seconde partie, homicide involontaire lors d’un accrochage entre Rafael et son rival qui fait virer le film du côté du pastiche hitchcockien, entre thriller et comédie sexuelle : c’est qu’un laideron nommé Lourdes, employée que personne n’avait remarquée, est témoin de la scène et propose un affreux chantage à Rafael -le silence contre son amour. Sans faiblir, le rythme du film gonfle à nouveau, étalant toute la classe de l’auteur dans des scènes flirtant entre le grotesque et la pure fantaisie (l’extraordinaire repas chez les parents de Lourdes).
Tout irait pour le mieux si la troisième partie ne venait à nouveau contrarier le projet : non que l’ensemble déraille ou ne s’essouffle, habitude chez de la Iglesia, plutôt que le film soit au contraire victime de sa trop grande santé. Tout ici est si bien huilé, si parfaitement contrôlé en régie que Le Crime farpait aurait besoin, par instants, de se poser pour ne pas lâcher son spectateur. Mais de la Iglesia court la tête dans le guidon, fonce dans un increvable contre la montre qui empêche littéralement le film d’accrocher à son récit. Ainsi décollé en deux parties bien distinctes (défilé délirant des visions burlesques et ligne claire de la narration), Le Crime farpait s’impose malgré tout comme le chef-d’oeuvre du cinéaste. Proche, tout proche de la ferpection.