Si les barons cachés de la scène musicale kinoise n’avaient pas eu la mauvaise idée, au début des années 70, de le traiter de « mercenaire », parce qu’il avait osé collaborer avec son Excellence Franco L. Makiadi, à un moment où il devait totale allégeance au Seigneur Tabu Ley, Sam Mangwana n’aurait certainement jamais cessé de tenir les rôles de second capitaine. Il aurait probablement continué à servir la musique des autres ténors de la rumba congolaise, avec toujours autant de plaisir et en allant jusqu’à s’oublier lui-même. Le destin, heureusement, et malgré ce nom de Mangwana, qui signifie la fatalité, en a décidé autrement. Car le fils d’immigrés angolais a quitté le Zaïre en 76, traversé la moitié de l’Afrique pour tenter sa chance ailleurs, s’est arrêté à Abidjan, capitale d’où sont partis ses premiers succès panafricains (Suzanna notamment) avec son fameux groupe, les African All Stars. Lassé ensuite par les excès fréquents de piraterie musicale et les limites anesthésiantes de l’industrie discographique dans la région, il fait le saut vers l’Europe en 88, s’installe à Paris, en espérant s’établir définitivement un jour dans le pays de ses ancêtres, l’Angola.
Une aventure d’afro-lusophone que l’on saisit sans difficulté aucune, en réécoutant cet album -le plus abouti de sa carrière- qui restitue assez bien sa double identité. De la rumba lente, nostalgique mais intelligente, qui tangue entre le nord de l’Angola (région d’origine des parents) et la capitale du Congo (où il est né). Un album d’une sobriété électro-acoustique qui tranche énormément avec les coulées chaudes et habituelles de la rumba festive, version Kin-la-belle, qui, parfois, dégoulinent en soukouss mal dosée. Choeurs, guitares, percus, valihe et accordéon. Un vieux routier du genre, Papa Noèl, est de la partie. Justin Vali, Régis Gizavo et Roger Raspail. Sans oublier la participation du chanteur pop anglais Murray Head, histoire de respecter le quota world music sans doute.
L’ensemble ne manque pas de charme et inspire dans le texte le réveil de l’Afrique. Le titre Galo negro (coq noir, en bon français) illustre bien cette idée d’éveiller la « conscience africaine ». Pas de rancœurs exacerbées, juste quelques paroles de révolte assagie. La voix, l’une des plus belles du continent, s’occupe du reste. Laissez-vous tanguer, ça remue merveilleusement bien.