« La production d’informations terrifiantes est maintenant une industrie en elle-même. Diverses sociétés rivalisent pour voir jusqu’à quel point elles peuvent nous effrayer ». Ces lignes extraites de Bruit de fond datent du milieu des années 80. Elles sont signées Don DeLillo, écrivain américain dont on commence tout juste, en France, à se rendre compte de l’importance : pour faire vite, vous pouvez refiler à votre mère, votre copine, la bonne, qui vous voulez, tout Paul Auster (avec qui il est ami du reste), tout Jay McInerney, tout Bret Easton Ellis (j’en passe, sans parler des français) pour un seul livre de lui.

L’intrigue de celui-ci pourrait se résumer à très peu de choses (parallèlement au passage d’un nuage nocif au-dessus d’une bourgade des Etats-Unis, un homme apprend qu’il va mourir), si l’auteur ne partait pas dans des ramifications, digressions et autres analyses d’une acuité qui rendrait fou tout esprit un peu trop sensible, tant elles rendent compte d’une réalité qui nous échappe mais dont nous soupçonnons le pire. Dans Bruit de fond, où s’établissent de multiples correspondances sécrètes, tout converge vers un point de tension extrême : la mort. Une réflexion menée tambour battant, électrisée par la puissance d’un style dense et poétique. Une scanographie obtenue par un brassage de données où se conjuguent fiction-extrapolation et conditions historiques précises.

Ainsi en est-il de cette Amérique subissant des dérives obsessionnelles, pathologiquement malade et ayant toujours ce goût prononcé pour les armes à feu (« C’est ainsi, je pense, que les gens échappent à l’attraction terrestre, à la gravité qui nous rapproche de la mort. Il suffit d’arrêter d’obéir, voler au lieu d’acheter, tirer au lieu de parler. »). L’effet de malaise est volontairement entretenu : peur panique suite aux évacuations successives, et du même coup sur l’imaginaire du lecteur (une peur liée aux accidents technologiques ; pour mémoire, le roman fut écrit deux ans avant Tchernobyl). Tout se passe bien, très très bien, dans les romans de Don DeLillo. Nul besoin d’être parano pour accéder à son univers. Il contient tous les germes des virus qui nous contaminent. Mais il offre aussi une belle parade : le langage comme arme contre les nuisances de la technologie. Comme un pressentiment terrible… en bruit de fond.