« En 1943, j’ai passé une partie de l’hiver à New Heaven, Connecticut. Une nuit, le jukebox a passé un disque de Jay McShann -je crois que c’était Hooty blues. Tout le monde s’extasiait devant l’invraisemblable solo du sax alto. C’était la première fois que j’entendais Charlie Parker. » Royn Haynes n’imaginait alors probablement pas que, six années plus tard, après avoir joué aux côtés de Luis Russel et Lester Young, il passerait le réveillon de Noël sur scène avec le saxophoniste… La suite est connue : le roi Haynes (Jean-Pierre Moussaron s’excusa en son temps de ce calembour), héritier direct des géants de la batterie bop (Max Roach, Art Blakey, Kenny Clarke), promènera ses baguettes dans les groupes de Sarah Vaughan, Monk, Coltrane (il remplace Elvin Jones pour quelques mois, au cours de l’année 63), Stan Getz et cinq ou six autres musiciens du même calibre, tout en mettant à profit ses propres formations (en quartet, le plus souvent) pour mettre au jour le talent de ces jeunes musiciens qu’il sait repérer comme personne. L’un d’entre eux ne l’a plus quitté : le pianiste Dave Kikoski, mélodiste élégant et accompagnateur d’une rare subtilité, est bien sûr de ce quintet en forme de all-stars band avec lequel le batteur, cinq décennies après ses sets fiévreux en compagnie du Bird, se plie donc à l’exercice du Tribute to. D‘Ah leu cha en Barbados, de Moose the mooch en Now’s the time, il mène avec force et énergie cet ensemble de noms trop fameux pour décevoir, trouvant en Dave Holland (contrebasse) et Dave Kikoski les partenaires d’une rythmique de très haut vol.

Si Roy Hargrove fait à nouveau montre de l’enthousiasme et de la volubilité qu’on lui connait, quitte à perdre en délicatesse ce qu’il gagne en puissance, l’altiste Kenny Garrett ne parvient pas, à nos oreilles, à se départir de de cette pénible affectation qui, perçant sous la vivacité d’un style agressif auquel on ne peut par ailleurs que reconnaître ses qualités, nous conduisait déjà à la réserve à l’écoute de ses autres collaborations et, plus encore, de ses albums en leader. Ce bémol mis à part, cette enthousiasmante relecture de onze standards des heures de gloire d’un bop au sein duquel l’immense Roy Haynes a nourri ses premières coups de cymbale s’ajoute sans déparer à la discographie personnelle du batteur, dont on appréciera à nouveau la sonorité mate, l’extrême vélocité et, d’une manière générale, l’immense art du jazz. A 76 ans, Roy Haynes n’a semble-t-il pas fini de frapper.

Roy Haynes (dm), Kenny Garrett (as), Roy Hargrove (tp), Dave Holland (b), Dave Kikoski (p). Enregistré les 26 et 27 mars 2001 à New York