Si nombre de duos fameux comptent parmi les perles de la discothèque du jazzfan (qu’on songe à Bill Evans et Jim Hall, à Ornette Coleman et Joachim Kühn, aux cent soixante-seize touches parcourues de conserve par Herbie Hancock et Chick Corea), il en est finalement peu qui soient initiés par un trompettiste. C’est pourtant cette configuration qu’a choisi d’explorer aujourd’hui Ron Miles aux côtés d’un Bill Frisell dont il connaît depuis longtemps (il fut notamment membre de son quartet au milieu des années quatre-vingt-dix, et le croisa dans différents contextes par la suite) l’univers, les tentations et l’inimitable poésie guitaristique ; la sérénité et l’économie de ces douze plages enregistrées au printemps 2001 montrent suffisamment la complicité de ces musiciens plus attentifs aux histoires qu’aux moyens, aux couleurs qu’aux artifices, parfois joueurs, encore que le tempérament paisible du délicat Ron Miles semble apaiser l’incessant usinage d’idées et de changements soudains coutumier à Frisell. Monk (We see), Ellington (le Heaven éponyme), Jelly Roll Morton (King Porter Stomp), Hank Williams (Your cheatin’ heart) et Bob Dylan (A Hard rain’s a-gonna fall) : un parcours qui n’ignore ni la tradition ni l’invention, mêlé à un répertoire original où s’affirme la plume du trompettiste. La tendance est au retrait plus qu’à la démonstration, le soin apporté au détail et nuances plus qu’à l’impact : il faut tendre l’oreille et se concentrer un peu pour se familiariser avec la douceur et la retenue de cette musique au carrefour d’un jazz straight mais singulièrement traité et d’horizons poétiques à la facture desquels les six cordes du délicat Frisell ne sont pas étrangères.