Producteur hyperactif issu de la première vague techno de Berlin Est (il formait avec sa compagne Gina d’Orio le duo EC8OR, signé sur Digital Hardcore et en licence sur le label des Beastie Boys), Patric Catani est un cas à part dans le monde de la musique électronique allemande. Il multiplie les pseudos dans les années 2000 (Very Impossible Person, E-de Cologne, Candie Hank, Driver&Driver, Flex Busterman…), comme autant de personnages dont il endosse l’identité en soignant le look : lunettes de soleil, cheveux gominés, canne multicolore et costume de pimp.

 

 

Mais c’est avec A*Class, un pastiche digne des Monty Python, qu’il rafle tous les suffrages : il y joue les élèves modèles avec Gina d’Orio, exhortant le public à lire des livres sur fond debooty bass frénétique. Sans compter sa collaboration fructueuse avec les Puppetmastaz, un groupe hip-hop de marionnettes qui fait un tabac chez les ados. Jamais à cours de projets, il réalise également des bandes-sons pour des installations d’art contemporain et s’est même fendu d’une création musicale autour d’une pièce de théâtre adaptée de Houellebecq – c’est dire l’étendue de ses talents.

 

 

Catani, c’est un peu le Dr. Frankenstein de la musique électronique : il procède à des greffes incongrues, ramifie la chèvre et le chou, le western spaghetti et la fête foraine, la J-pop et le dubstep, Bollywood et les Balkans, la musique de cartoons et le cabaret sous acide, le surf-rock et la booty bass, le Neue Deutsche Welle et les rythmiques hip-hop, l’eurodance 8bit et la musique expérimentale la plus tarabiscotée. Et tant pis pour ceux que ça n’amuse pas.

 

Jamais dans la demi-mesure, ce dandy sans manières met un point d’honneur à ne jamais se prendre au sérieux, manifestant une jubilation permanente dans le jeu des identités et du recyclage des sous-genres, à l’image d’un Atom™ qui aurait grandi entre le punk, le gangsta rap et la gabber d’Allemagne de l’Est. La street cred’ contre la gentrification du Berlin réunifié.

 

 

Blingsanity pourrait être le pendant musical du film Spring Breakers : une exagération de l’esthétique clinquante du hip-hop et de la techno la plus vulgaire, en un détournement auréolé d’humour dada et confinant à l’esthétique camp. Patric Catani est un ogre rieur qui dévore et régurgite le moindre courant d’électro populaire, entre hommage et parodie, à coup de samples bien sentis, de synthétiseurs à la Residents et de beats hachés menus : tous les styles sont passés à la moulinette, avec ce grain d’humour tordu et de goût pour le mauvais goût, pour les poubelles de la musique électronique autant que pour les films bis.

 

 

En bon beatmaker, Catani s’arrange toujours pour que sa musique donne envie de dodeliner lourdement de la tête avec un sourire en coin. Malgré son côté méta- et second degré, Blingsanity privilégie avant toute chose le plaisir du bricolage sonore et du montage, avec plus ou moins de brio d’ailleurs : si Put More to It est une techno-anthem terrible, des titres comme Heartstrong ou Coco sont plus poussifs. Les petites faiblesses de Blingsanity n’entament pas le plaisir de l’écoute. Car cet adolescent bientôt quadra cherche avant tout à s’amuser et à nous amuser par la même occasion : pas de théorie sous roche, mais un entrain communicatif pour une party music qui vrille et dérape, comme un pied-de-nez au rigorisme de la techno minimale qui prédomine à Berlin. Ce que Catani a lui-même parfaitement défini par le terme « lowfistication ».