Y a-t-il une vie après Slowdive ? Il semble que oui. Neil Halstead se réinvente constamment, du passé shoegaze de son groupe glorieux en passant par le rock indépendant de Mojave 3 pour en arriver aujourd’hui au folk, sous son nom seul. Avec brio, il faut dire. De l’essai transformé dès son premier long format Sleeping on roads, et confirmé par la suite, ce Palindrome hunches (troisième opus solo) vient encore souligner l’habileté qu’a l’homme de s’approprier un genre et de le faire sien.

Pas bavards, ces onze titres se passent presque de commentaires, tant leur simplicité biblique est limpide. Débarrassé des artifices et des effets, Neil Halstead se concentre sur une économie de moyens volontaire, pour obtenir un effet maximum. Pour décrire l’electro minimale, on employait souvent l’idiome de Mies Van Der Rohe : Less is more. Force est de constater que cette maxime s’applique de manière bien plus générale et qu’elle est particulièrement idoine au folk. Car ici, Neil Halstead développe une esthétique proche du dénuement, enrobée dans une forme presque faussement simple, pour ne pas nuire à l’un des éléments essentiels qui constituent cet album : ses textes.

Plus mélodieux et moins dépouillé, malgré une apparente sécheresse des arrangements au premier abord, qu’un José Gonzalez, moins vaporeux et moins opiacé que son excellent confrère Jason Edwards, Halstead délivre dans Palindrome hunches onze histoires simples, au minimalisme volontaire – morceaux courts, instrumentations réduits le plus souvent à trois instruments simultanés, avec une prédominance pour le violon, le piano et la guitare. Les thèmes abordés sont eux aussi de l’ordre des choses simples, presque à la limite de la naïveté – l’amour, le temps qui s’échappe, l’honnêteté, les rapports humains, la solitude ou le manque – mais la forme folk les transfigure pour en faire onze petites leçons à retenir, sans lourdeur. On choisit ici à dessein le terme de « leçons », car l’histoire singulière du disque nous apprend qu’il a été enregistré d’un seul tenant, presque d’une seule prise, dans une école élémentaire !

Léger à certains moments comme sur Bad drugs and minor chords, Palindrome hunches présente cette parenté avec les disques de ses pairs de The Willard Grant Conspiracy, premier album en tête (3 AM @ Otto’s fortune) – tout en restant moins axé sur la guitare comme élément central des morceaux, et encore moins sur l’harmonica, absent de ce disque. Tour à tour gracieux, lumineux ou sombre, l’album est une belle embardée, une véritable et apaisante échappée belle. Les cordes, omniprésentes, finissent de parachever la facture classique du disque et le rangent ainsi dans une catégorie presque chimiquement pure de folk, sans rien ôter de la virtuosité du bonhomme en matière de composition, d’ambiances et de mélodies, simples et pourtant accrocheuses, facilement mémorisables. La voix, claire, est débarrassée de tout maniérisme ou de production superfétatoire, inutile ici pour la narration. Relativement pudique, la musique agit en contrepoint des thèmes abordés, comme la rupture sur le titre éponyme Palindrome hunches ou sur Spin the bottle – Neil Halstead s’est séparé de sa compagne – ou encore la vie du pianiste Paul Wittgenstein – le frère du philosophe et connu comme le pianiste au bras gauche (puisqu’il a perdu le droit lors de la Première Guerre Mondiale) – sur le titre Wittgenstein’s arm, pour donner un relief que n’autoriserait pas un folk plus élaboré ou plus tubéreux. Grâce et une légèreté contrebalancent souvent la noirceur du propos. Faussement léger, la gravité n’est pas ternie par une forme empesée qui ne pourrait que nuire à un disque empreint de délicatesse, de vénusté et presque d’espoir ou au moins, d’espérance. La tristesse et la noirceur de Tied to you, sur une relation destructrice trouve son pendant dans Hey daydreamer, composition étonnement rapide en regard des autres titres, rempli d’optimisme, de force vitale, de désirs – tout voir, tout connaître et se rendre partout.

C’est une belle parenthèse que ce disque – une parenthèse dans la crise ou la déprime anxiogène de l’infotainment diffusé en boucle sur les chaînes à flots continus. Un peu hors du temps, un peu hors du monde, Palindrome hunches est un disque introspectif, léger, gracile. Un des disques qui comptera cette année.