Voiture-pie lancée à toute berzingue, caméra embarquée comme dans French connection, commentaire d’un flic kéké : dès les premières secondes, End of watch crie son identité de créature embedded. Par les temps qui courent, on a le droit de se méfier : le film a tout du mini-trust opportuniste, décidé à faire entrer le polar sur le marché juteux des bidouillages « amateurs ». Quelque chose, toutefois, interpelle. Alors que d’ordinaire le dispositif DV (parfois très commode question mise en scène : il permet à certains de s’en passer) est installé d’entrée puis jamais remis en question, plusieurs régimes d’image s’entrechoquent. L’un des deux coéquipiers, Brian (Gyllenhaal), filme son turbin, braconnages nerveux dans la zone de Los Angeles, agrémenté d’extraits vidéo datés (citation inévitable de Cops). On a en parallèle un découpage plus traditionnel (cachet grossièrement réaliste, montage nerveux). Par moments, le crédo naturaliste est même bousculé par des saillies hollywoodiennes (la décoration des deux flics, notamment, est noyée dans une flopée de violons à la Hans Zimmer). Alors quoi ? Film plus rusé qu’il n’en a l’air, ou simple polar de jeune chien fou qui ne sait pas où donner de la tête ?

End of watch est bien un cop-movie surexcité, inscrit dans cette fraîche lignée de polars aux faux airs droitiers, vaguement héritiers de Siegel, Friedkin, Frankenheimer (ils les citent par mimétisme coquet plus que par réelle affinité). Le postulat, c’est de réussir un film de flics sans second degré, invoquant une dévotion inconditionnelle, très américaine, pour « notre police », celle de l’Etat sécuritaire, celle d’un Hollywood en fait moins nixonien que reaganien. Seulement, et c’est là que le film se distingue aussi d’une pure apologie binaire (vive les flics, crève la vermine), David Ayer sait bien que l’entreprise est délicate. Il voit la difficulté qu’il y a à aduler ces deux zélotes bien burnés, engoncés dans leurs postures viriles. Chez Siegel et les autres on soutenait des héros malgré leurs choix discutables, parce qu’au fond, ils voyaient plus loin que le reste du monde : au bout de l’extrémisme, la sagesse. Là, c’est l’inverse, on approuve la méthode mais pas ses motifs : toujours placés dans leur bon droit, nos héros sont en situation de légitime défense, leurs gestes appellent l’assentiment ; mais ce qui gêne, c’est davantage l’esprit dans lequel se mène leur mission, aux antipodes d’une pondération réfléchie. L’écriture insiste assez génialement sur leurs bavardages tournant autour du couple, les faisant radoter comme deux disques rayés : loin du remplissage, ces détours quasi sentimentalistes disent (et redisent) que cette police vengeresse est un prolétariat comme un autre, motivé par un mélange d’instincts sommaires, de candeur, et de conceptions un peu rances. Aimer la flicaille musclée, dit Ayer, c’est simplement aimer une classe ouvrière au travail. A partir de là, on est mis au défi : jusqu’où pourra-t-on rester les supporters de ces (anti)héros, admirer leur travail de petit soldat, absolument privé de recul ?

Pour autant, le film n’a pas non plus d’arrières-pensées politisantes, ni théoriques. Le but d’Ayer, en fait, est à la fois plus naïf et plus modeste : c’est de diluer, dans l’action brute, une sorte de cinéma-direct, déborder un peu de Cops pour toucher à Strip-Tease. Etonnamment, ce End of watch qui comme beaucoup d’autres petits objets contemporains semble viser superficiellement l’effet « vérité », s’en rapproche en fin de compte plutôt fidèlement. Comme devant une recherche très sérieuse du type école de Chicago (au mieux), comme devant un racolage immersif franco-belge (au pire), on est placé devant ce mélange de tendresse, de dégoût, de compassion et d’agacement (intervertis au gré des types d’angles et d’images), drôle de mixture au parfum très reconnaissable de l’état de fait.