En regardant La Chasse, on pense forcément beaucoup à Festen, le film-buzz du festival de Cannes 1998 qui révéla Thomas Vinterberg, quasiment perdu de vue depuis ce coup d’éclat. Un même motif s’y déplie, une parole qui vient détruire un homme et une communauté. Mais le scénario est à l’envers : tandis que Festen mettait en scène la destruction du groupe – une famille – à partir d’une parole de vérité qui révélait l’ignominie de ses liens et la bassesse de son chef, le père incestueux, La Chasse traque les conséquences atroces d’un mensonge proféré par l’innocence même : une fillette de quatre ans. Sur un schéma narratif et dans un registre très proche du film de Wyler repris en salle il y a trois ans, La Chasse raconte, en trois temps et un épilogue-limite et paresseux, la destruction d’un homme par la rumeur.

Si l’on pense autant à Festen, c’est aussi que le scénario se présente avant tout comme un rouleau compresseur, écrasant tout sur son passage, la mise en scène et l’éthique à l’estomac du cinéaste s’appliquant à suivre, caméra-fusil en avant, la chute de son personnage et rien que sa chute. Après une exposition qui pose habilement toute les pièces que le récit va s’ingénier à détruire, à savoir le portrait d’un homme à peu près irréprochable – beau sans vouloir séduire, apprécié par ses amis, attentionné avec les enfants avec qui il travaille, chérissant son chien, adorant un fils qui vient de réclamer à sa mère de retourner vivre avec lui – la mécanique de la rumeur s’emballe et s’abat sur lui comme un fléau sans remèdes. En dix minutes, il ne reste plus rien de cette sociologie du mec bien sous tout rapport, la violence de tout et de chacun déferlant et le spectateur n’ayant plus qu’a acquiescer mollement devant le spectacle affligeant de la bêtise collective, se posant d’inutiles questions : « Que ferais-je à sa place ? » ou « Comment résister à la meute ? ».

Au temps du Dogme95, plate-forme esthétique porté par Lars Von Trier et Vinterberg et très oubliée aujourd’hui, Festen avait clivé son public en deux camps irréconciliables. Les uns criaient au génie d’un film qui remuait comme jamais ses spectateurs, prolongeant dans la salle la violence émotionnelle orchestrée par Vinterberg, brisant le silence sur le plus grand des tabous. Les autres rejetaient un film manipulateur et malin, maniant avec brio effets de manche et de réel. Malgré la force de son interprétation, La Chasse souffre d’un scénario prévisible qui n’a pas le souffle et l’ambiguïté de son aîné. Il appartient hélas à cette catégorie de films-dossier efficaces qui n’ont pour se défendre que l’injonction de leur sujet de société, propices aux débats infinis.