Pour ce qui est de la théorie de l’évolution, les écossais de Mogwai tiennent le bon bout. Depuis la sortie de leur tout premier 45 tours, Summer, jusqu’à ce troisième album (quatrième si on inclus Ten rapid, collection des premiers singles), Mogwai n’a fait que progresser, et épurer. Des premières saillies soniques, largement influencées par les fourrages de mercure à la Slint et les sacrées apocalypses guitaristiques de My Bloody Valentine, Mogwai a toujours su et voulu affiner son discours, élaguer sa musique des dernières scories du rock. Come on die young, produit par Dave Friedman (Flaming Lips, Mercury Rev) traçait déjà une ligne de démarcation relativement nette entre le chaos originel et des aspirations plus mélodiques.

Paradoxalement, sur scène, Mogwai reste une des formations les plus foudroyante en activité sur la planète Terre. Une vraie machine de guerre, d’une puissance de feu proprement impensable en dehors des schémas du rock lourd, une charge de la brigade légère qui aurait raison de son public en lui sciant très progressivement les nerfs auditifs et en lui balançant à son insu de grandes plaques métalliques au travers du cerveau Aussi on ne s’étonnera pas que Mogwai tente aujourd’hui de mettre sur orbite (logique après avoir intitulé un morceau Stanley Kubrick) une nouvelle bande son imaginaire. Rock action porte mal son nom, il aurait du s’intituler 2001: A Space rock odissey… Ainsi 2 rights makes 1 wrong emmène des cow-boys (y’a du banjo) cavaler mollement sur les anneaux de Saturne, Sine wave qui ouvre l’album sonne comme un décollage et Secret pint, qui l’achève, comme un atterrissage.

Oser appeler cet album une superproduction se révèle au fil des écoutes assez inconvenant car si l’on compte au rang de ses invités prestigieux les noms de David Pajo (Slint, Tortoise, Papa M), Chino Moreno (Deftones, improbable fan des écossais) ou encore Gruff Rhys des Super Furry Animals (sur Dial:Revenge, plage bucolique en patois), c’est néanmoins du coté de collaborateurs moins médiatisés qu’il faudra chercher une des couleurs dominantes de ce disque. En effet, The Remote Viewer -duo électronique auteur d’un album injustement passé inaperçu il y a deux ans chez 555 et d’un récent maxi dans le cadre des Series 500 du label Domino- a apporté de discrètes interventions d’électronique contrariée, intégrées logiquement en traitement (sonore) de fond aux schémas pantelants quoique harmonieux de Mogwai.

Soyons clairs : ce disque est magnifique de A à Z, on a le plaisir d’y entendre des rythmes butés, des guitares de cristal, de bois ou plus rarement de métal, des ascensions vertigineuses (You don’t know Jesus, terrible) et de plus en plus souvent la belle voix somnambulique et détachée de Stuart Braithwaite, ce sale petit menteur. Si ce jeune homme déclare volontiers vouloir transporter son groupe vers les territoires inaccessibles de la beauté pure des disques de Nick Drake, notez bien qu’il se fout du monde, et pas avec des pincettes. Il n’est pas besoin en effet d’être fin musicologue pour déceler immédiatement l’influence prédominante d’une autre formation britannique majeure sur les pistes sonores et spatiales de ce Rock action : des sons de guitares, des harmoniques romantique et des synthés qui remplacent tant bien que mal des formations de cordes, reconnaissables entre toutes. Si le groupe ne confirme pas cette influence à la presse au cours des prochains mois, on se permettra de leur remonter les bretelles en leur faisant constater que cet album doit beaucoup à Cure période Disintegration. Un disque pour lequel certains n’avaient pas hésité à l’époque de sécher les cours pour l’acquérir dès sa mise en rayon. On espère qu’aujourd’hui, quelques lycéens fougueux omettront de se présenter en classe de Sciences Physiques pour se consacrer à l’écoute urgente et fascinée de Rock action, ce disque magnifique.