Connu principalement pour avoir posé aux côtés de Cannibal Ox sur The Cold vein ou encore sur Tragic epilogue d’Antipop Consortium ou au sein du projet The Infesticons de Mike Ladd, Life Long est un rappeur new-yorkais à la terminologie douce mais serpentine. Explosant des grands écarts difficiles entre le cosmos des Natives Tongues des années 90 et la posture déviante des labels Def Jux ou Warp, il pose en ce début d’année 2008 la galette Longevity, un album brillant qui invite Fred Ones, Earl Blaize, Apani ou encore Many Styles et U.G des Cella Dwellas… Lorque les Tribe Called Quest et autres De La Soul ont commencé à cartonner, plusieurs plumes et producteurs ont emmergé du fournier boom bap que representait la scène hip-hop des années 90, en particulier le crew Cella Dwellas ou encore Prince Paul (toujours aux bons endroits) et la mini-nébuleuse MHZ. Cette scène ne s’est jamais recroquevillé sur elle-même, laissant à portée de micro de nombreuses places vacantes. L’air a été ensuite souvent rempli – surtout à la fin des années 90 – par des entités à la fois éloignées et proches de l’esprit boom bap, comme en attestent l’explosion de Company Flow, Antipop ou encore Cannibal Ox. L’histoire rapologique de Life Long commence à bourgeonner en 1997, lorsque le « collectif Stronghold, porté par Breez Evahflowin, a permi a beaucoup de emcees New-Yorkais de trouver un souffle nouveau, de regrouper une quantité incroyable de rappeurs et de producteurs qui s’écartaient du schéma rigide de New York ».

Le rap indépendant dit déviant doit beaucoup au collectif Stronghold, né à New York. Ainsi, des noms tels que C-Rayz Walz ont pu poser les mêmes bases que Life, qui a choisit de patienter et de larguer des projets à géométrie déglinguée (le EP Struggler’s paradise édité en 2003, par exemple), tout s’invitant sur des albums déjà « cultes » pour beaucoup (Cold vein ou Tragic epilogue…). Malgré les nombreuses expérimentations sonores qu’a connu Life Long, il n’a jamais été ébloui par les fragrances electroniques de ses confrères d’Antipop ou par les excellentes productions electrisées du Sieur El-Producto. Il ne s’est pas engouffré dans un album qui aurait pu reprendre la majorité de ses titres « connus », histoire de balancer son CV gigantesque à la gueule des vendeurs de la Fnac. L’important ici, c’est que ce L.I.F.E est toujours au rendez-vous pour poser son flow elastogène sur les producteurs à géométries expérimentales tels El-P ou Fred Ones.

Capable également d’érafler des micros sur des tonalités dodelinantes qui forment un tissu bien tendu, solide et rauque, L.I.F.E Long est un de ses chaînons manquant et marquant qui tend habilement ses drapeaux entre hip-hop estampillé Native Tongues, voire D.I.T.C, mais aussi du rap post apocalyptique de Can Ox ou Antipop. Sans former un clone de sa génération, Life se pose au contraire comme un pont énorme entre deux époques, dérivant d’une période exhaltée, mais toujours rivé sur des piliers bien solides. Après avoir largué des centaines de CDs dans les rues de New York, posés des demi-albums ou des EPs qui n’ont jamais vraiment constitués des « albums » au sens propre, Long poste ici un eccueil rap très dense, en se laissant aller sur des strates qui bougent beaucoup et qui circulent sur les I-Pods pas loin de Radiohead (on citera le morceau de Cannibal Ox titré Battle for Asqard qui invite C-Rayz Walz & L.I.F.E Long).

L’origine et les premiers balbutiements de cet energumène atypique ne se situent pas à Soho ou dans un quartier chic de la Grosse Pomme. Pas même au coeur de Brooklyn, la cité de Jay-Z (un de ses modèles), mais de South Jamaica Queens. Si Life a vécu une grosse partie de sa vie sur terre du côté de Brooklyn, sa patrie matrice est celle des puissants couteaux de Queensbridge (Imam Thug, Infamous Mobb, Havoc, etc.). Son ouverture d’esprit lui a évité de tomber dans les pièges des écoles et du commerce autour de cette scène brillante, dont les acteurs sont aussi devenus des metteurs en scène bourrés de talents (A Tribe Called Quest, Mobb Deep, Nas, 50 Cent…). L’éclestime de Q.B est sans équivalent aux Etats-Unis. Le rap et New York doivent beaucoup à Queensbridge, meme aujourd’hui. Alors bien sûr, ce n’est pas d’où tu viens mais ce que tu fais qui compte par dessus tout, mais les méandres du cerveau de L.I.F.E Long viennent de « là-bas ». Et venir de « là-bas » et posséder un tel pouvoir de distanciation afin de poser un album si varié, si loin si proche de New York, constitue aujourd’hui un véritable miracle, une sorte de « pari-hommage » rendu aussi bien aux longs couteaux que sont les Native Tongues ou les Organized Konfusion que les retro-futuristes Cannibal Ox et El-P, tous new-yorkais. Alors que les majors s’affalent en ce début de siècle, se tournant de plus en plus vers les « labels indépendants », s’excitent sur les prochaines rap-stars qui vont briller sans ardeur, d’autres préfèrent continuer à creuser le sillon boom-bap jusqu à la moelle (à l’instar de Edan ou de MF Doom) pour poser un univers atypique qui permet à l’acteur principal de se placer lui-même en chef d’orchestre, lorgnant aussi bien vers l’Angleterre soignée et electrique de Warp que dans les égouts new-yorkais putrides de Killah Priest (un affilié du clan Wu-Tang), les cultissimes Cella Dwellas ou le pote Fred Ones (« The Puppet Mc » sur l’album Phobia of doors édité il y a quelques années, toujours par Ascetic), sans compter les joutes verbales échangées avec High Priest (ex-Antipop du duo Airborn Audio).

Ondulant entre sons durs et old school, electro et boom bap, Longevity se déguste en douceur, pulse un hip-hop d’alien parfaitement intégré à la race humaine, déterrant tel un acarien invisible l’electro de Kraftwerk et grillant dans la foulée quelques joints d’electronica gâtés sur un gâteau de rap-contact introverti, comme en attestent So much pleasure et LONG, deux rondelles qui résonnent comme des appels précieux à un certain « retour vers le futur ». Sons nerveux et onduleux, sonorités chaudes et froides en alternance (l’atypique Rose petals), les effluves de ce disque semblent avoir été engendrées pour perpétrer un état d’esprit rapologique sérieux, sincère et sans aucune doctrine précise. Ce bel album bien rond est assez piquant pour ne pas tourner dans le vide. L.I F.E Long est un rappeur que l’on peut cataloguer comme une jeune relique non fossilisée, qui a su garder avec patience une sorte de longévité et d’imagination créatrice imperméable aux canards boiteux qui surfent sur une vague qui n’a rien d’un tsunami (on pense à la moitié de la tripotée d’Anticon, pour ne citer qu’eux…). Longue vie à Life.