Levon Vincent n’est pas un nouveau venu. Il a tout simplement attendu plus de dix ans pour franchir le pas et se lancer dans l’ambitieuse et fatidique aventure du long format.

Le new yorkais fait partie de ces quelques producteurs bien repérés par les radars de l’internationale dance qui se sont distingués par une signature reconnaissable entre mille. Une belle flanquée de maxis (les formidables Double Jointed Sex Freak et Man Or Mistress…) a fasciné ses contemporains et durablement marqué la mémoire collective pour sa densité émotionnelle hors-norme et son élégance ténébreuse. Une discographie low profile et éditée par ses propres soins (le label Novel Sound) a fait de Levon Vincent un parangon de l’artisan dub techno, très instruit et rigoriste, voire ascétique, obsédé par un certain nombre d’or qui fait des miracles sur le dancefloor.

Il faut reconnaître que Levon Vincent a pour lui un véritable don de producteur, au sens où sa musique goudronneuse et hypnotique commence par vous désorienter avant de vous propulser en quelques mesures dans un monde parallèle où s’articulent à merveille, selon de savants enchevêtrements, des timbres écorchés et des matières impossibles, à la fois organiques et métalliques. New yorkais et Berlinois d’adoption, Levon Vincent se trouve à l’exacte croisée d’une lignée située entre le straight-to-the-tape américain d’un côté et l’exploration allemande des profondeurs synthétiques de l’autre, caractérisée à jamais par les boucles de délais en cascades de Maurizio.

Lancé dans le cadre d’un plan marketing un peu confus – l’album a été partagé en mp3 par l’intéressé lui-même la veille de sa sortie officielle, accompagné d’un discours militant à demi compréhensible – Levon Vincent (on parle maintenant du disque) s’ouvre sur un étonnant renouveau. C’est que l’appareillage mélodique s’est quelque peu boursouflé depuis les épisodes précédents, volontiers minimaux et squelettiques. A l’instar de Plastikman, on subodorait chez Levon Vincent un certain intérêt porté à la cause New Wave, voilà que ces réminiscences débordent dorénavant de toute part. On pense cette fois carrément plus à Depeche Mode qu’à Basic Channel, voire même à Vangelis avec ces mille-feuilles de synthèse atmosphériques et ces morceaux qui n’en finissent plus de ne pas finir (« The Beginning »).

Ces saillies un peu étouffantes (quoiqu’assez belles par leur maladresse contre-intuitive) et ces nouvelles matières qui viennent s’agréger à son instrumentarium (un vibraphone façon musique minimale américaine, de faux cœurs très Arts Of Noise…) se calment de temps à autres : « Junkies On Hermann Strasse » ou « Anti-Corporate Music » entre autres renouent avec ces moments de grâce où Levon flirtait avec une atonalité trouble plutôt qu’avec ces harmonies, on regrette de le dire, un peu lourdingues. Le disque n’en reste pas moins un petit tour de force que l’on est curieux de voir vieillir, situé bien à l’écart de la productivité exponentielle de ses condisciples.