Laura Veirs dépose doucement son quatrième album sur la neige carbonique des montagnes rocheuses du Colorado, terre rocailleuse où elle est née. Cette jeune sirène de 27 ans vit aujourd’hui en bord de mer à Seattle, pas loin du glacier Carbon, qui se situe sur le Mont Rainier. Ce gros bloc de glace a la particularité de contenir des particules de charbon. Ses colorations gris clair lui donnent un aspect de joyau immense, qui réfléchit les rayons du soleil en kaléidoscope d’arc en ciel ou qui s’assombrit lors des apparitions de cumulus. L’ex-géologue Laura Veirs a quitté les mines du Colorado pour quelques instants, le temps de balancer des brides de folk-song balayées en nids d’étoiles, dans une mouvement de brise légère. Veirs aurait pu vivre aux temps de The Times they are a-changin’ de Bob Dylan. Aidée par un groupe brillant (portant un nom ridicule : The Tortured Souls), elle étire sa voix et ses parcelles de guitares acoustiques sur des écrins de cordes disséminées, accouchant de petits airs finement psalmodiés… Miss Veirs évoque Herman Melville, Monet, Kurt Cobain ou encore Virginia Woolf, plusieurs personnages par ailleurs disséminés sur cet album mirifique. Composé d’une dizaine de pluies écrites en hiver 2003, Carbon glacier est revêtue de neige angélique.

Sa voix légèrement tempérée lui confère un grain précieux. Les lutines et comptines s’accrochent ici aux savoureux arrangements de guitares sèches (Riptide) et autres mélodies dépourvues d’affects violents (Ether sings). Faussement simpliste, elle vole au-dessus des assaisonnements de cordes (Wind is blowing stars), plaçant sa poésie folk directement dans le coeur, l’ardeur, le sentiment des êtres et fantômes auxquels elle s’adresse. Il n’est pas souvent question ici de joie et d’allégresse, et on ne conseillera pas l’écoute de Rapture (un des bijoux de l’album) aux suicidaires. Ce serait un peu comme approuver les thèses négationnistes qui affirment que « le texte rend l’homme triste » (cf. Ray Bradbury dans Fahrenheit 451), qu’il créé la dépression et la maladie. La vie en somme.

Très vite, l’album de Laura Veirs se pose comme un carnet de voyage, un journal intime qu’elle ouvre en douceur. Les tristes litanies font souvent place à l’espoir que génère quelques textes, recouverts toutefois de banquise pilée et de cornes de brume qui dirigent finalement vers le flou total. Les anglophones seront sûrement happés par les écrits de Veirs. Pourtant, nul besoin de connaître la langue de Shakespeare pour se plonger dans son univers onirique. Carbon glacier est un album dont le principal inspirateur incarne totalement sa cible : un bijou de glace.