Si John Foxx n’avait pas tout ce parcours compliqué derrière lui, si on ne connaissait pas son histoire, on jurerait trouver en lui le prochain Ariel Pink ou un John Maus en devenir, la dimension méta en moins. Premier leader et chanteur d’Ultravox qui abandonne le navire au moment du virage synthétique du groupe, mais pour mieux accomplir lui-même son propre virage synthétique – son premier album solo, Metamatic, est tout en claviers et bizarreries électroniques, John Foxx n’est pas à un paradoxe près. Comme celui de revenir à la fin des années 10 pour concurrencer directement ses fils spirituels lointains, en se trouvant un alter ego et producteur malin en la personne de Benge.

 

Au vu de l’homologie relative des noms, de leur goût partagé de l’analogique et d’une manière commune de manier/penser quelques grandes références de la musique populaire (s’ancrer à la fois dans les sixties et les eighties, dont Foxx a été partie prenante au contraire de ses cadets), on pourrait bien croire à une filiation directe avec John Maus ou Ariel Pink. Mais la comparaison tourne court assez rapidement, en raison d’esthétiques – on pourrait même parler de philosophies musicales – toutes différentes. Derrière l’illusion d’une parenté sonore, Ariel Pink et John Maus sont des musiciens de la déflation – ils cherchent une musique différente, capable d’être pop tout en pratiquant des pas de côté face à la musique mainstream – et ils accomplissent ce programme par une approche bricoleuse, qui ajointe ensemble les pièces rapportées d’un futur entr’aperçu seulement. Ils regardent l’horizon en louchant comme des beaux diables : d’un côté, un futur impossible, déjà en état de déplétion, de l’autre, un passé qui ne finit pas de revenir et de s’épuiser. Toute la beauté de leur musique consiste à continuer d’inventer des manières d’en faire – de créer des possibilités pour la musique – avec ce double horizon impossible, à la fois mur infranchissable et terreau pourri. Ce double décalage dans le temps fait leur contemporanéité bizarre, louche et biscornue.

 

De son côté, John Foxx est plus littéral et plus frontal. Evidemment : toute la différence tient à ce qu’il a vécu les années 80 comme leur contemporain. Certes, il continue de cultiver la sensation vintage de sa musique, son enracinement analogique. Des moogs, des samples de 808, des sons extirpés de synthés modulaires, on entend que ça dans Evidence. Et on les entend d’autant mieux que jamais Foxx ne tente de les travestir ; au contraire, la production vise une transparence maximale, les fréquences sont parfaitement étagées les unes au dessus des autres, tout est d’une limpidité parfaite. Il produit une musique des années 1980 avec l’exacte sensation de son présent, de sa contemporanéité. Ni second degré ni décalage ici. C’est la réussite d’Evidence – restituer la généalogie musicale de John Foxx sans jamais cesser de sonner présent – ainsi que sa limite. A ce petit jeu, il s’en sort bien mieux que Gary Numan lorsqu’il s’acoquine avec Battles. Eclats synthétiques, textures rêches assemblées de manière géométrique et chaotique, filtres complexes appliqués sur les voix, relecture de pans entiers de la musique d’alors – la reprise de Have a Cigar du Floyd – tout est là pour relifter une musique qu’un autre aurait fait sonner de manière vieillote.

 

Mais en même temps, on a constamment l’impression de ne trouver dans tout cet arsenal qu’un ensemble d’accessoires et de colifichets qui ne trouvent pas leur pleine cohésion. La multiplication des collaborations en témoigne assez : ici le psyché-post-punk de The Soft Moon fonctionne comme certificat de jeunesse authentique, ailleurs Matthew Dear vient raccrocher les wagons avec Bowie, tandis que Tara Busch, Gazelle Twin et Xeno & Oaklander viennent insuffler ce qu’il faut d’inconnu pour que la musique reste excitante. Dans l’opération, Foxx réussit tout de même à débarrasser le post-punk synthétique de quelques-uns de ses fantasmes les plus encombrants. Aucune velléité dansante ici, pas davantage de mélancolie, mais une introspection effectuée à l’aide d’outils travaillés pour être sans âge : on pourra évidemment reprocher à Foxx son refus de s’inscrire dans l’histoire mais il reste qu’il fait de sa musique une petite machinerie destinée à fabriquer du temps singulier et impossible. Et qu’il ne tombe donc pas très loin des raisons pour lesquelles on aime tant Ariel Pink et John Maus.