Rien ne prend dans Aujourd’hui. Des gestes et des humeurs disloqués nous arrivent par blocs, et ne cristallisent pas. On voit bien que le morcellement fait partie du projet, et que le film, quelque part, se revendique de l’archipel, de l’éclatement : ilsuit en cela la continuité d’Andalucia(même configuration : un homme, une errance, une ville), très beau portrait d’un esprit nomade qui, comme des ondes radio, attrapait au vol des états, des devenirs. On le regardait sauter d’une ligne à l’autre, et c’était très beau. Aujourd’hui, quant à lui, efface presque tous les passages et les glissements pour ne garder que les états, les statuts, dans lesquels il est difficile de voir autre chose que pantomimes, tics, mini-représentations.

 

Et pourtant tout commence par une belle scène d’incarnation : un homme se réveille un matin dans sa chambre à Dakar. Est-on sûr qu’il s’agit bien de sa chambre ? Que ce corps, ce pays sont les siens ? L’homme a l’air ahuri de se réveiller comme ça, ici et maintenant. Moment de trouble assez beau, début en forme de délire schizophrénique, qui met en abyme l’expérience de tout acteur et de tout spectateur : devenir, se fixer sur, aller vers. Avec vue subjective. Tout commence donc par une peau qui n’est pas la nôtre, et encore moins celle du personnage, prénommé Satché. À l’extérieur de la chambre, la famille de Satché l’accueille avec des têtes d’enterrement, lui annonçant que ce jour sera son dernier, qu’il mourra au crépuscule. On le suit alors dans un pèlerinage de vingt-quatre heures, au cours duquel il retrouvera vieux amis, vieilles connaissances, membres de la famille, amours de jeunesse et enfin foyer, avec femme et enfants.

 

Passé l’incarnation inaugurale, cinq belles minutes de prise d’élan, c’est la dégringolade, la déception graduelle. Satché, auquel on venait à peine de s’identifier, d’un coup nous distance, d’abord un peu, et puis de plus en plus ; on le voit passer de personnage à figurine. Où le héros d’Andalucia était actif, interceptant les signes, s’investissant partout, celui d’Aujourd’hui est passif, mou, à la traîne de toutes les situations. Tout ce qui se machine entre les scènes et fait que Satché passe d’un état à un autre, joyeux, triste, amoureux, anxieux, etc., et qui était si réussi dans le film précédent, est désormais passé sous silence. Evidemment le script est beau, et cette beauté se décèle facilement, s’agissant pour Gomis de dévoiler l’identité du personnage tout en l’étoilant, selon des champs sociaux, culturels, politiques. Mais ces domaines sont abordés avec un automatisme qui les rend complètement artificiels (voir exemplairement la scène de l’émeute, pourtant réelle et prise sur le vif : elle surgit avec un tel volontarisme que dans la continuité du film, elle n’est pas loin, finalement, de ressembler à un fantasme). Comme rien ne se produit vraiment à l’image, l’insistance est mise sur l’expression – sur ce que tout ça pourrait bien signifier au fond -, les événements se répercutant sur le visage de Satché en mimiques tardives, sourires, lippes, grimaces, comme des commentaires ou des explications. Personnage taiseux à l’extrême, presque muet, et pourtant insupportablement bavard.