Des inédits de Coltrane, ne fût-ce qu’une poignée : voilà qui, sans aucun doute, vaut à peu près toutes les nouveautés des derniers mois réunies, pour ne pas dire celle des dernières années. Quatre décennies ont passé depuis ces enregistrements pour le label Impulse, où le saxophoniste avait signé un contrat en 1961 après quelques années chez Atlantic, sans que ne s’altèrent en rien son intensité, son aveuglante luminosité, sa dimension en tous points exceptionnelle ; aussi découvre-t-on moins ces pistes inédites comme quelque trésor d’hier enfin mis à jour que comme une création d’une totale contemporanéité, sans âge puisque éternelle. Le quartet historique est formé depuis quelques mois à peine lorsque, en décembre 1961, Coltrane entre en studio pour les premières des séances dont sera tiré le contenu des albums Ballads, Duke Ellington & John Coltrane et Coltrane (homonyme d’un premier album enregistré cinq ans plus tôt, chez Prestige) : McCoy Tyner (piano), Elvin Jones (batterie) et Reggie Workman (contrebasse), remplacé début 62 par Jimmy Garrison. Au regard de la violence et de l’urgence qui caractérisaient les premiers albums Impulse (Africa/brass et surtout Live at the Village Vanguard, en 61), on trouvera ici une musique relativement assagie, sobre, délicate.

L’histoire de l’enregistrement de Ballads fut d’ailleurs l’objet d’abondants commentaires parmi les premiers cercles des inconditionnels : choix personnel du saxophoniste ou exigence plus ou moins mercantile du producteur, Bob Thiele ? Quelle que soit la réponse, le joyau fut taillé par un quartet d’une impeccable élégance et poli par le jeu apaisé et majestueux d’un Coltrane dont, pour une fois, les critiques ne purent pas écrire qu’il était « the best of the angry tenors » (ce à propos de quoi il aurait répondu : « I guess they say that because I play the horn hard », ainsi que le rapporte Gene Lees dans ses notes de pochette de l’époque). Ces deux rééditions en double compact proposent, en plus des albums originaux, près d’une heure de prises jamais publiées jusqu’alors, alternate takes ou titres totalement neufs. Table des matières : quatre versions de Greensleeves, sept de It’s easy to remember, une de All or nothing at all, une de Impressions, quatre de Tunji ainsi que, pour finir, un thème inédit, Not yet. Soit en tout dix-huit raisons de redécouvrir ces deux sommets mythiques d’une oeuvre qui, de fait, ne s’est jamais éloigné des cimes. Légendaire, bouleversant et indispensable.