Miscontinuum est le nom que Jan St. Werner a donné à son projet de performance live. Conçu comme un opéra technologique d’aujourd’hui, Miscontinuum explore les déformations et les distorsions du temps à l’aide de tout un arsenal de procédés électro-acoustiques. Pour mieux incarner ces concepts, St. Werner a fait appel à Markus Popp, alias Oval, avec lequel il collaborait jadis dans Microstoria, et qui signe ici le livret. Dylan Carlson (de Earth) en est le récitant tandis que Kathy Alberici et Taigen Kawabe (de Bo Ningen) prêtent leur voix au projet et fournissent un matériau vocal que St. Werner manipule à l’aide de ses machines. Miscontinuum évoque, de loin, les travaux de François Bayle et de Robert Ashley. Du Français, St. Werner retrouve le goût des sonorités fuyantes et oniriques ; de l’Américain, il s’approprie cette capacité étonnante à tisser des récits abstraits, presque incompréhensibles, mais pourtant captivants comme des rébus gnostiques et enchâssés dans un matériau électro-acoustique hypnotique.

Ce double héritage place ainsi ce travail sous les meilleurs auspices. À mesure que l’on enchaîne les écoutes, on constate que Jan St. Werner ne s’éloigne pas tant que ça de sa manière de procéder avec Mouse on Mars, dont 21 Again, prenait récemment la température. Mais là où Mouse on Mars se conçoit comme un projet fondamentalement ouvert et populaire, Miscontinuum se présente comme un opéra électronique, dont la froideur institutionnelle a de quoi rebuter au premier abord. Le scepticisme est encore renforcé lorsqu’on apprend que cette performance live – donnée pendant quatre ans à Munich dans le cadre de la série d’événement Asymmetric Studio – a aussi donné lieu à une pièce radiophonique diffusée sur la Bayerischer Rundfunk et s’apprête à être jouée à la St. Luke Church de Londres. Ne manque plus que le tampon de la commission européénne et l’invitation de la Philharmonie de Paris !

Mais pour peu que l’on fasse abstraction de ce decorum, par lequel St. Werner signifie qu’il appartient bel et bien, dorénavant, à la dynastie des compositeurs de musique contemporaine, et que l’on accepte le pacte d’écoute singulier de Miscontinuum, ce double album se transforme en un labyrinthe de sonorités énigmatiques et indéchiffrables, équivalent sonore d’une bibliothèque de Babel. Il ne dévoile à l’auditeur la clé de son mystère que pour le lui ôter quelques secondes plus tard avant de le lui proposer à nouveau sous une forme toute nouvelle. Contre toute attente, le résultat est fascinant.