Réenvisagé dans la perspective des années 2000, le parcours de Mouse on Mars depuis 1993 est sûrement l’un des plus originaux de leur décennie. Apparu avec les premiers pas de l’IDM, le duo de Düsseldorf (Andi Toma et Jan St. Werner) a très vite développé les lignes de force d’une alternative à la braindance britannique. Tout en remontant aux sources de la tradition électronique allemande (CAN, Klaus Schulze, Stockhausen), les deux musiciens bricolaient une musique idiote dans tous les sens du terme, et qui avait cette intelligence racée d’aller contre le bon goût de la musique sérieuse. Idiology est d’ailleurs le titre d’un de leurs meilleurs albums, programmatique à tous égards. De disque en disque, St. Werner et Toma étendaient à grande vitesse leur champ d’action sans jamais rien s’interdire, dans une musique qui touchait à la fois à une drum’n’bass totalement alien, un post-rock sans les poses mystiques reloues et une techno qui devait autant au rock psychédélique qu’à la musique électro-acoustique. Et dans cette entreprise pionnière, ils réussissent le tour de force de réinventer et fédérer un krautrock propre à leur époque (avec Kreidler, To Rococo Rot ou Tarwater), qui n’avait trop à rougir face à la kosmische Musik d’origine. Pas étonnant, alors, que le duo soit devenu l’un des projets les plus excitants des 90’s, tant il apparaissait comme la synthèse inouïe de tout ce qui s’inventait de plus stimulant à l’époque.

Cet album, qui réunit collaborations et remixes, ressemble à un bilan qui ne voudrait pas s’avouer tel : le long de deux CD et 30 morceaux, on entend le duo aux côtés de tous leurs collaborateurs passés, de Laetitia Sadier à Markus Popp, en passant par Mark E. Smith avec lequel ils ont formé le projet Von Südenfeld et enregistré le disque Tromatic Reflexxxions, ou plus récemment Prefuse 73 et Tyondai Braxton. La liste donne évidemment le tournis. C’est probablement la faiblesse de cette collection de morceaux : elle impressionne énormément sur le papier mais déçoit à l’écoute. Non pas que ces trente morceaux soient mauvais ; c’est plutôt qu’ils déroulent assez sagement la musique du duo sous la forme d’un bréviaire, presque une image d’Épinal de sa gloire passée, comme si Toma, St. Werner et leurs copains s’amusaient à singer le Mouse on Mars idiot et inouï d’antan. La fête, dégingandée mais pas trop (quelques stars indés, dont Mark E. Smith, souhaitent un bon anniversaire au duo), tourne assez vite à la redite molle.

Il y a quelque chose d’un peu triste à constater la gentrification d’un groupe qu’on a aimé avec une telle passion il y a quinze ans, dont on a fait notre Rimbaud germanique et musical, et dont on n’aurait jamais cru pas qu’il pourrait devenir, un jour, simplement ordinaire. Depuis que le duo a signe sur Monkeytown Records, le label de Modselektor, sa musique est effectivement plus commune, comme si elle avait dilué ses fusées d’intelligence sonore dans une électro efficace, un peu tâche et pas très fine, tandis que St. Werner réserve ses meilleures trouvailles à ses enregistrements solos (son Miscontinuum Album sort en janvier 2015 sur Thrill Jockey, on y reviendra). Plusieurs morceaux de 21 Again relèvent de la grosse turbine pour club et, si leurs vertus festives sont évidentes, ils n’ont par ailleurs pas grand intérêt. Mais à côté de ces pièces savamment usinées pour le dancefloor, on trouvera tout de même quelques purs fragments de beauté, comme ce Pterion avec Olivia Block ou ce Gitto Ski enregistré avec Oval. Tout n’est donc pas perdu. Mouse on Mars ne surprend plus, s’avachit par endroit, procure toujours son lot de fulgurances en d’autres et semble par ailleurs faire l’unanimité critique dans la presse. La preuve, peut-être, que le duo fait désormais partie des classiques ?