Dans l’interminable galaxie du drone, Jefre Cantu-Ledesma est une figure digne d’intérêt. Tête pensante avec Maxwell August Croy du label Root Strata, il s’emploie autant à inventer l’avenir des musiques noise, ambient ou drone, qu’à en proposer l’archéologie à travers le blog du label, mine d’or virtuelle sur lequel on déniche périodiquement de véritables diamants bruts : mixtapes thématiques, rips de pressages originaux de LP de musique africaine ou indienne, compilations de ragas, cassettes introuvables, etc. Le blog de Root Strata illustre à la perfection cette manière commune à toutes les strates historiques et géographiques de la musique « moderne » de se superposer sur une même ligne de présent perpétuel. Label et blog sont de leur temps, parfaitement contemporains. Et Jefre Cantu-Ledesma, au-delà de la musique qu’il produit, publie, diffuse ou enregistre sous son propre nom, est avant tout un point fédérateur perdu dans cette galaxie, parce qu’il réunit autour de lui des figures et des musiques qui n’ont pas forcément vocation à dialoguer ensemble : Jon Porras et Evan Caminiti de Barn Owl et Sean McCann, Stephen O’Malley et Harold Budd, Ilyas Ahmed et Ben Vida ou Duane Pitre.

Longtemps, la musique de Cantu-Ledesma n’a rien eu à envier à celle des musiciens qu’il abritait dans son label. The Phantom Harp ou Voice Sutra, par exemple, font partie de ces disques inclassables, trop vite sortis et oubliés, mais qui semblaient gros de potentiels encore inexplorés pour le drone, un peu comme ceux que Koen Holtkamp ouvrait avec Gravity/Bees. Les deux hommes, qui se connaissent bien, font d’ailleurs figures de jumeaux musicaux tant leurs musiques partagent de points communs.

Malheureusement ces promesses-là sont absentes d’A Year With 13 Moons. Chose surprenante, Cantu-Ledesma n’explore ici que des formats courts, alors qu’il s’est plutôt illustré, par le passé, dans les pièces de longue durée. Aucun morceau n’excède ici les 2 minutes, à l’exception des deux premiers. Ce format nouveau dans la discographie du bonhomme pourrait être une bonne surprise, mais le moins que l’on puisse dire, c’est que Jefre n’en tire pas grand-chose. Tout au plus a-t-on le sentiment qu’il déploie les mêmes stratégies formelles sur des durées réduites : longues nappes aux timbres facilement identifiables, entre synthés et voix éthérées, effets de clair-obscur dus au mariage des guitares et des sinusoïdes et mélodies minimales en mode majeur se conjuguent en miniatures délicates, parfois maniéristes (« The Last Time I Saw Your Face »), parfois plus sèches (« The Twins Shadows »), sans qu’elles déclenchent pourtant le moindre tremblement dans le monde du drone et de la musique ambient, sur le versant shoegaze. Dans ses meilleurs moments, Cantu-Ledesma s’arme d’une boite à rythme qui ânonne des motifs simples (« The Spree », « Disappear ») et semble écrire de la musique pour un film de Gregg Araki. Le même onirisme et les mêmes sensations ouatées et indistinctes s’y font entendre, dont l’effet est authentiquement narcotique. Avec ces morceaux, l’Internationale hypnagogique n’a qu’à bien se tenir ! Mais c’est tout de même bien peu dans un album qui ressemble beaucoup à la réunion trop rapide de brèves pièces écrites entre deux portes pendant une tournée…