Le Herbie Hancock définitif ? L’anthologie ultime, les douze titres à emporter sur l’île déserte, prélevés avec soin et force cas de conscience parmi la discographie pléthorique et surabondante en chefs-d’oeuvre du maître, si l’on comprend bien ? « La toute première rétrospective de sa carrière, cinq décennies de musique par l’artiste aux multiples Grammy Awards », précise le dossier de presse dans une formule un peu étrange (la « toute première » rétrospective, c’est pour laisser entendre que d’autres vont suivre ?). Le fan sur rue donc sur l’objet, en espérant 1° que c’est Hancock lui-même qui a procédé à la sélection et 2° que l’écrémage parmi les titres est en soi une œuvre d’art, que les dilemmes (que retenir dans Speak like a child, par exemple : Riot ou Speak like a child ?) ont été tranchés avec science et sagesse, que le dosage entre tubes et chefs-d’oeuvre a été soigné, etc. Raté. Doublement, même. Pour ce qui est du 1°, rien n’indique qu’Hancock a choisi personnellement les douze morceaux de Then & now ; à l’écoute, on se demande même s’il a été prévenu de l’affaire autrement que par son chèque de royalties. Quant au 2° ! On sait bien qu’une anthologie a pour but de faire découvrir l’artiste, d’initier un public à sa musique, de mêler grands classiques et gros standards, mais quand même. Le sublimissime Maiden voyage, en ouverture (peut-être la plus belle mélodie de ce qui restera son plus beau disque, même si Dolphin y tient aussi la corde), fait figure d’unique concession aux grandes heures des sixties et à la facette « classique » d’Hancock. On enchaîne ensuite avec l’inévitable Cantaloupe island (c’est de bonne guerre), puis on saute au début de la période seventies avec Wiggle waggle, issu de Fat Albert Rotunda, puis avec le tube planétaire « Chameleon », des Headhunters (1973). Bon. Mais Speak like a child ? Mais les géniaux Blind man, blind man ou King Cobra dans My point of view ? Mais Sextant ? Que l’expérimental (si l’on peut dire) Inventions & dimensions manque, d’accord, mais ceux-là ?

La suite est consternante : on perd presque six minutes avec un Saint-Louis blues d’un goût très moyen (pas le mieux de ce qu’a fait Hancock sur Gershwin’s world), sans doute pour pouvoir mettre le nom de Stevie Wonder sur un sticker, puis on constate que, par esprit d’ouverture peut-être, l’anthologie ne retient quasiment du parcours de Hancock dans les années 1980 et 1990 que des morceaux vocaux, parfois fameux d’ailleurs (Joni Mitchell, deux chansons, mais c’est la décevante Corinne Bailey Rae qui chante sur « River » ; l’autre, avec Mitchell, est un live inédit, en guise de bonus track), mais qui, franchement, soutiennent mal la comparaison avec ce dont on déplore l’absence. Fallait-il revenir sur The New standards, l’album de 1996 dans lequel Hancock jazzifie des tubes pop ? Oui, s’il s’agissait d’attirer l’œil du profane. Pas sûr, si c’est de musique qu’il s’agit (ici, c’est All apologies de Nirvana qui a été retenu, en duo avec John Scofield au sitar électrique : pourquoi pas, mais enfin…) Fallait-il choisir la version électrique de « Watermelon Man », celle, délicieuse mais pittoresque, des Headhunters, plutôt que la version classique, celle, immortelle et séminale, de Takin’off ? Fallait-il expédier la période 80’s à travers une reprise live musclée de Rockit tirée du DVD Future 2 future, plutôt que de se pencher sérieusement sur la question et de trier consciencieusement le bon grain et l’ivraie ? Pourquoi ne pas avoir retenu, au lieu de laisser chanter Corinne Rae Bailey, l’un des morceaux du magnifique album en duo avec Wayne Shorter, 1 + 1 ? Bref, on l’aura compris : les jazzfans peuvent passer leur chemin (pas de bonus délirant, pas de pépite secrète pour récompenser sa curiosité), et les autres n’ont pas vraiment intérêt à commencer par là. Se dire que cette galette décevante se présente comme le Herbie « définitif », après tant de chefs-d’oeuvre, après tant de coups de génie, c’est quand même un peu triste. Non ?