Force est de constater que Gel: a le sens des mots. Le sens de la musique aussi. Il possède cet art de combiner les sons suivant certaines règles qui n’appartiennent qu’à lui. Des règles qu’on pourrait essayer de percer en écoutant en boucle ses morceaux. Mais au bout du compte -même après quatre heures d’écoute-, on se demande toujours comment telle structure est agencée, comment tel son vient se poser… Et on apprécie toutes ces entrevues avec Julien Locquet, toutes différentes les unes des autres.

Le monde de Gel: est attirant, un peu inquiétant. Sur son dernier album, il pulse des trips sensoriels et viscéraux à sa façon : une hypersécrétion sensitive mêlée de brutalité. En véritable plasticien sonore, Gel: expulse ici un véritable rhizome de bruits mélodiques accrocheurs, où se bouturent cris, gémissements et rivières de signaux anormaux. Sur re(a/c)h’(suite), des cris de volailles égorgées viennent perturber les violons, eux-mêmes déjà bien malmenés par une rythmique tordue. Dérouté par tous ces sons indistincts qui fusent à tout va, on se met à écouter en boucle (encore), à chercher un point d’ancrage. On s’accroche soudain à une petite tonalité de ce qui nous paraît être un clavier, qui, au bout de trois minutes, daigne nous laisser reposer sur sa ligne fragile, puis le morceau se termine brusquement sur ces foutus volatiles suppliciés. Pourtant, en réécoutant, on aime cette fois-ci se laisser bercer par les violons, mais on revient aussi sur les cris ; s’agit-il vraiment de poulets qu’on égorge ?! Ca pourrait très bien être un sample du bébé-larve pompé dans Eraserhead, le film de Lynch. Qu’importe… Ce qui nous plaît chez Gel:, aka Julien, c’est qu’il n’entend a priori pas mener la musique dite électronique sur des rives trop occupées. Il cherche plutôt dans les coins isolés où cette tendance ne se contente pas uniquement d’un seul collage linguistique.

On rentre dans les titres de –1 comme dans l’appartement de Fenêtre sur cour : on s’allonge dans le fauteuil de James Stewart et on se laisse bercer par ces petits bruits de la vie quotidienne qui jaillissent des appartements voisins. Sur Aux chiens écrasés, les boucles de piano sont jouées par les voisines (deux sœurs jumelles) du dessous, et les rythmiques concassées sont autant de blèsements intrinsèques qui permettent aux violons de circuler librement. Puis les sœurs jumelles deviennent soudain des siamoises. La saturation est leur organe commun. Elles pleurent à chaudes larmes. Sur Pauze, on entend d’ailleurs la boîte à musique de leur petite sœur paralysée. Et il pleuvine des clapotis irréguliers tout autour du logement délabré. Sur Même pas prête, on distingue bon an mal an des fonds sonores bruitistes, intentionnels et maîtrisés, mêlés de nappes captivantes, échappés des bas-fonds. « Je sais que tu es dans la cave Julien, occupé à éventrer les tuyauteries »…

Sur des structures très complexes, Julien Loquet tisse des toiles électriques grâce à des arrangements originaux bien sentis. Cet érudit donne une leçon de programmation triturée, gave ses morceaux, les inonde de cliquetis cristallins pour éclairer son sujet. Ruptures de rythmes, intros douces pour titres rageurs, rage pour morceaux doux… Gel: surprend toujours l’auditeur, même si on se sent chez soi dans son univers chaotique et délicat.