A la faveur d’un changement de distributeur, le discret label indie chicagoan Galapagos4 réapparaît dans les bacs avec quatre (re)sorties bien dans la ligne de cette famille de cousins nordistes de la galaxie californienne Anticon. L’occasion de revenir sur cette frange néo-beatnik du hip-hop US. Disons-le tout de suite : tout n’est pas mauvais, sur ces quatre disques. Et notamment pas les raps, parfaitement maîtrisés par des Mcs à la technique irréprochable : on est clairement ici sur les terres d’artisans polisseurs amoureux de rimes, où passe parfois l’envie d’une mélodie (Mail order bride sur le Blindfaithde Mestizo et Mike Gao). Proches dans les flows de leurs rappers, ces albums sont également bâtis sur un substrat musical assez homogène -avec leurs rythmiques lentes et lourdes et leurs glissades de guitares ou de cordes, on est plutôt chez Morricone-Portishead que chez les Neptunes-, que chaque producteur interprète ensuite à sa manière : là où Robust et Prolyphic rendent avec Stick figuresune copie honnête dans l’option Pete Rock du programme, le DarkDay de Qwel & Jackson Jones préfère les vinyles craquants et les batteries saturées de bruit blanc, tandis que Mestizo et Mike Gao dérivent sur des langueurs cosmopolites (le violon plaintif de Native soil, Whose land ?) ou des trompettes virevoltantes (Pick up 52’s). Bref, c’est bien fait, mais on s’emmerde un peu.

D’autant que, si tout n’est pas mauvais, tout n’est pas bon non plus. Voir par exemple le recueil d’instrumentaux empâtés de Maker, l’un des beatmakers attitrés de Galapagos4, qui ne s’élève jamais au dessus d’une morne médiocrité trip-hop heureusement disparue sur nos terres depuis longtemps (Mestizo & Mike Gao s’essayent également à la jungle sur Save it for yesterday). On l’aura compris : ceux qui cherchaient ici de quoi soulever les dancefloors en seront pour leur frais -même avec Two deep des Stick Figures ou Pick up 52’s de Mestizo / Mike Gao, il est probable qu’ils ne feront bouger que des backpacks. C’est encore ce genre de disques dont, habituellement, la chronique commence par cette phrase honteuse et gênante : « Certes, on ne trouvera pas ici de club-bangers ».

Honteuse tout d’abord comme une bonne partie du public de ces disques, qui apprécie de les trouver dans des bacs « Abstract » et non dans les bacs « Rap » où ils se compromettraient au milieu des dernières sorties de Young Jeezy ou de Lil’ Wayne (« ouais, c’est du rap tu vois, mais indépendant, hein, underground, pas commercial »). Gênante ensuite parce qu’il est tout simplement faux d’imaginer que le rap, tout comme le rock, pourrait se survivre en tant que musique authentiquement vivante s’il oublie sa réalité évidemment bâtarde et impure de musique populaire : populaire, donc forcément trempée dans le commerce, ses coups et ses magouilles, en 2006 ni plus ni moins qu’en 1956 ou en 1986, les marchands Blancs du rock’n’roll naissant ou les margoulins Noirs de la old school n’ayant sur le fond rien à envier aux flibustiers texans ou néo-orléanais d’aujourd’hui ; populaire donc spontanée, bricolée, loin des canons que l’on enseigne dans les académies officielles ou officieuses du bon goût musical -et ce n’est sans doute pas un hasard si les artistes Galapagos4 émergent de Chicago, discrète capitale régionale d’un certain bon goût musical américain, en jazz (l’Art Ensemble et l’AACM y ont pourvu dès les années 1960), en rock (Tortoise, Gastr Del Sol), comme en rap (Common et Kanye West sont les plus célèbres exportations de l’Illinois hip-hop, il ne faut pas l’oublier).

Le projet de Robust & Prolyphic s’appelle Stick Figures, comme ces bonhommes que l’on fait avec quelques brindilles. Et, de fait, tous ces disques sont un peu comme des constructions en allumettes, précises, minutieuses, fidèles à leurs modèles à leur petite échelle (ici, on dit « underground ») ; mais ce qui s’en dégage c’est avant tout un sentiment d’effort un peu besogneux et, finalement, d’ennui et d’inutilité : ce que ces morceaux gagnent en technique, en profondeur, en bon goût, ils le perdent en immédiateté, en urgence, en efficacité. Voilà pourquoi il n’y a pas ici de « club banger », et voilà pourquoi il n’y a pas de quoi s’en réjouir. Et si vous tenez vraiment à vous convaincre que, Eminem en semi-retraite, le hip-hop US Blanc conserve de l’intérêt, écoutez plutôt They don’t know, l’hymne pourpre à Houston de Paul Wall (feat. Mike Jones & Bun B) qui nous a fait tout l’hiver 2005-2006.