Vous aviez claqué des doigts tout au long de Miss soul, le précédent album d’Eric Legnini ? Vous gigoterez du pied sur une partie des pistes de ce Big boogaloo où il continue son chemin, avec une belle réussite, dans cette veine hard bop à la façon d’Horace Silver ou des sommets de Cannonball Adderley et de son frère Nat, sans aucun complexe (il aurait tort d’en avoir) ni aucune concession à la subtilité. L’oreille, remplie sans doute de ces grands classiques du jazz funky, se tourne aussi vers les rejetons d’aujourd’hui qui ont pu y puiser (on apprend dans le texte d’accompagnement du disque que Funky dilla, l’impeccable et efficace premier morceau de l’album, fait signe vers le défunt producteur de rap Jay Dee, J Dilla de son nom de scène) et, ici ou là, vers ce qui se fait chez les groupes phares de la pianosphère (difficile de ne pas percevoir l’influence du trio d’Esbjörn Svensson dans la tournerie bidouillée du deuxième morceau, Nightfall). Le Boogaloo du titre, lui, renvoie à ce rythme chaloupé et nonchalamment dansant qui, en son temps (les années 1960), inspira au saxophoniste Lou Donaldson celui de l’un de ses plus célèbres albums (Alligator Boogaloo) ; quant au fil rouge secret, après Phineas Newborn Jr dans Miss soul, c’est cette fois-ci le pianiste et chanteur Les McCann, monument du jazz soul et compagnon de route d’Eddie Harris : Legnini lui emprunte un tube, The Preacher, et lui dédie le très gospel Honky cookie. Pour le reste, tout roule comme une Chevrolet sortie de la révision : Franck Agulhon à la batterie et Rosario Bonaccorso (en alternance avec Mathias Allamane) à la contrebasse forment une équipe rythmique rôdée et irréprochable, Julien Lourau (saxophone) et Stéphane Belmondo (trompette) surgissent sur cinq des douze titres en guest stars et, en phase avec la tonalité groovy et chaleureuse du maître d’œuvre, dégainent quelques chorus qui le dynamisent et lui donnent un surcroît d’éclat. On ne peut qu’applaudir et saluer l’énergie roborative de ce disque ensoleillé, plein de déférence pour une tradition qu’il ressuscite et renouvelle avec originalité et générosité, jusque dans un splendide Smoke gets in your eyes en solitaire qui ravira les amateurs de piano solo.