Il est difficile d’imaginer une création plus « post-subculturelle » que cet Afro samurai auquel The RZA donne, sur ce disque de bric et de broc, certains de ses meilleurs beats depuis les instrumentaux qu’il avait fabriqué en 1999 pour le Ghost dog de Jim Jarmusch. Mini-série animée conçue par Takashi Okazaki, Afro samurai réussit en effet l’exploit éminemment tarantinesque de réunir quatre ou cinq subcultures en même temps à l’intérieur de chacun de ses épisodes : le cool machiste de la blaxploitation, le hiératisme du western-spaghetti, la sagesse à deux balles des films de Shaolin, l’ultraviolence saccadée de l’animation à la japonaise, sous la référence-étendard (ou bandeau, puisque le nœud de l’intrigue est la quête du bandeau qui ceint la tête du « Numéro 1 ») du film de sabre ; et, au sommet de cet amoncellement référentiel, le voix de Samuel L. Jackson dans le rôle-titre, en guise de suprême signature subculturelle.

Dans un tel projet -qui fonctionne assez bien à l’écran, il faut le dire- la présence de The RZA à la bande son est en elle-même une autre référence ultra-codée, un pont jeté vers la subculture dominante de ces quinze dernières années, le hip-hop. Mais, là où, dans Kill Bill, le nom du pape du Wu-Tang Clan n’était qu’une citation parmi des centaines d’autres, vu la petitesse de sa contribution réelle au film, ce disque inégal sert beaucoup mieux son talent singulier.

Alignant une petite dizaine d’instrumentaux, des guests estampillés 100% classique NY, du Golden Age (Big Daddy Kane, Q-Tip) à Rawkus (Talib Kweli) en passant par son acolyte du Wu-Tang GZA, quelques douceurs R&B mal à propos et une bande-annonce en quatre titres du prochain Bobby Digital, Afro samurai / The Sountrack n’a pourtant pas la cohérence ramassée de la BO de Ghost world, le dernier album vraiment important produit par The RZA (sous réserve de le consommer dans sa version originale sortie au Japon, naturellement).

Mais il y a suffisamment de tension et de conviction -et de clins d’oeil à la légende Wu-Tang- dans la plupart de ces morceaux pour séduire tous les drogués en manque de special technique of shadowbowing et de Wu-Tang style. D’abord parce que l’album a l’une des ouvertures les plus galvanisantes entendues depuis longtemps, Afro theme, qui, avec ses beats au coupe-coupe et le flow arrogant de RZA, atteint parfaitement son objectif : rendre excitant ce qui va suivre, à l’écran -car, pour le dance-floor ou la conduite en voiture les vitres ouvertes, précisément parce qu’il est excitant, le morceau suscite surtout de la frustration (il dure 30 secondes).

Heureusement, la suite offre d’autres occasions de hocher un peu plus longtemps la tête en cadence ; et même de fredonner en même temps, sur Who is tha man feat. The Reverend William Burk aux accents bluesy et sur Fury in my eyes / Revenge. Probablement le meilleur titre du disque, avec ses arrangements luxuriants et sa mélodie soutenue par Thea, dont la voix voilée rappellera Nicolette à ceux qui se souviennent encore de cette chanteuse trip-hop un peu oubliée, The RZA y laisse entrevoir, l’espace de quelques secondes, ce que pourrait être un hip-hop de chambre, baroque et instrumental. Les autres titres rappés de la BO jouent davantage avec les clichés rêches du Wu-Tang, avec leurs rythmes saccadés (Cameo afro ne dépareillerait pas sur Enter The Wu-Tang (36 chambers), du moins tant que Big Daddy Kane et GZA rappent, et que Suga Bang ne chante pas) et leurs samples shaolins, sur les deux parties de Take sword.

Avec ses extraits de la série intercalés tous les deux ou trois morceaux, c’est en fait tout l’album qui ressuscite l’atmosphère cinématographique bis des premiers albums du collectif de Staten Island -cette atmosphère qui est justement la raison pour laquelle RZA peut aujourd’hui jouer les compositeurs de musiques de films. Les instrumentaux d’Afro samurai montrent qu’il n’a pas perdu la main, depuis Ghost dog : moins heureux sur les plages au repos, même lorsqu’il joue les Angelo Badalamendi sur le twinpeaksien Tears of a samurai, il est nettement plus convaincant lors qu’il s’amuse à déchaîner les cordes de Bazooka fight (part. I & II), lorsqu’il décalque la wah-wah et la basse de l’intro du Theme from shaft sur Afro’s father fight, lorsqu’il se construit des breakbeats made in HK sur The Empty 7 theme ou lorsqu’il fait vibrer les claviers de l’Afro samurai theme (first movement).

Ces réussites toujours à la limite du pastiche permettent de faire avaler les trois bols de soupe R&B produits par James « Tru James » Rabb et M1, qui, dans l’histoire, permettent à notre héros de tirer son coup avec quelques femmes-ninjas mais qui, repris sur le disque, ne font qu’exaspérer. Quant aux quatre extraits du nouveau Bobby Digital que l’album offre à la fin, ils montrent un RZA nettement plus conventionnel, et nettement moins intéressant -à l’image des disques inégaux qu’il a produit sous cet alias. Mais, avant d’en arriver là, on aura entendu suffisamment de choses intéressantes pour se convaincre que la vérité du RZA de 2007 n’est pas dans ces raps sans reliefs.