La suprématie du spectaculaire envahit toutes les strates du divertissement. Au début, on se dit : pourquoi pas ? Après tout, ce choix amplifie assurément l’impact des scènes d’action dans une majorité de James Bond et de sous-Star wars. Jusqu’au jour où l’absence de limite à cette politique finit par agacer. Notamment parce qu’elle n’hésite plus à sacrifier les plus élémentaires considérations historiques, ethniques et géographiques sur l’autel de la démesure visuelle. Quiconque a quitté les bancs de l’école depuis des années sait qu’il a beaucoup oublié de cet enseignement ; voilà pourquoi rien n’est plus fainéant, vulgaire et contreproductif que de s’appuyer sur ces lacunes pour diffuser des représentations incohérentes qui génèrent de l’épate à la petite semaine. Des centaines de catapultes de Kingdom of heaven aux ninjas habitant l’Himalaya de Batman begins, rien n’arrête le mépris de ces artisans du moindre effort. Rendons alors hommage à la persistance de produits tels que la série Rome ou la bande dessinée L’Age de bronze. Des divertissements qui, s’ils n’ont aucunement renoncé au spectacle et au romanesque, refusent de construire leur plaisir sur un déballage d’images crétinisantes.

Bien au contraire, pour concevoir cette réécriture moderne de L’Iliade, l’auteur de L’Age de bronze épluche les études scientifiques les plus sérieuses, avec pour seul souci la peinture d’une antiquité fidèle aux connaissances que nous en avons aujourd’hui. La performance de Shanower frise parfois l’excellence avec tant de zèle que même le Alix de Jacques Martin est dans les choux – en contrepartie, malgré une plastique au final très différente, on retrouve chez Shanower comme chez Jacques Martin une certaine forme de rigidité ; esthétique du divertissement et préoccupations ethnographiques ne doivent pas toujours être évidentes à marier. De la forme des crânes des hommes de l’époque en passant par les vêtements, armes ou bâtiments, tout dans le dessin pactise avec cette vision aristotélicienne d’une création à la vraisemblance hors du commun. Ainsi défile, sous nos yeux ébahis de plaisir, une énième variation de cette épopée qui nous hante depuis les cours de Latin de cinquième ; or, d’une certaine manière, elle est cette fois-ci telle qu’elle devrait être si Homère la composait pour la première fois aujourd’hui.

Alors certes, rien de neuf sous les soleils de Turquie et de Grèce ; mais en écartant totalement le champs du divin (sauf dans quelques rêves et dans les croyances des héros) hors du récit pour laisser la place aux hommes, de même qu’en unissant en un tout cohérent tout un catalogue de mythes qui le plus souvent se contredisent, Shanower apporte aussi sa touche personnelle, enlaçant à raison un réalisme contraire à la surenchère contemporaine. En ressort une mythologie démythifiée qui n’a en rien perdu de son souffle épique et de la flamboyance des icônes.