Ca s’appelait « Electronique Noire », ça arrivait tout droit de la remuante nébuleuse du jazz norvégien et, en fixant un nouveau jalon sur la route de la rencontre du jazz et de l’électro, dans la droite ligne des percées du Miles Davis seventies, ça avait connu un succès non négligeable, quoique relatif. Admirateur juvénile d’Hendrix, passager dans la galaxie rock, explorateur intrigué du jazz fusion quelques années plus tard, adorateur fasciné des pattes ECM ensuite et requin de studio enfin (on trouve son nom au générique de quelques 150 albums, de Ketil Bjornstad à Ute Lemper et Ray Charles), le guitariste Eivind Aarset ne perd donc rien de son élan et s’engouffre de plus belle dans les cascades hypnotiques des boucles rythmiques et l’arrière-plan surnaturel des modelages synthétiques. « Ce qui m’a attiré vers cette musique, explique-t-il, c’est la liberté totale que j’ai pu y trouver. Il n’y a pas de tradition ou de règles établies et on peut définir les siennes propres au fur et à mesure. Il s’agit d’un domaine inexploré et je n’ai aucune idée de la façon dont cette scène va évoluer, mais il y a beaucoup de choses intéressantes et nouvelles qui sortent en ce moment. » Territoires vierges, donc, encore que de plus en plus colonisés, où Aarset parvient à façonner un monde neuf et puissant, à la force volontiers agressive, gagnant en intensité ce qu’il perd sans doute en fluidité. Si son compère Bugge Wesseltoft, pilier du label Jazzland et fédérateur / catalyseur de ce petit monde musical en ébullition, tend à mettre l’accent sur la lente installation des climats et les imperceptibles changements de direction, Aarset, tributaire en cela de son bagage rock (« Je suis parti en tournée avec un groupe de heavy metal et ça a été une expérience fantastique, jusqu’à ce que j’en ai assez d’être en colère tous les soirs ; alors j’ai arrêté et je suis devenu musicien de studio »), déploie plus facilement une énergie brute qui contamine l’architecture brisée des morceaux autant que les dominantes sonores. On retrouve une fois encore, dans ses improvisations comme dans le son de sa six-cordes, l’influence majeure de Terje Rypdal, père spirituel méconnu des chocs d’aujourd’hui. Pas de révolution, certes, mais le cyclone garde toute sa force.