L’orgue Hammond et l’accordéon peuvent bien multiplier les points communs et sembler résolument exclusifs l’un de l’autre : comme l’expliquent malicieusement Eddy Louiss et Richard Galliano, piliers de l’écurie Dreyfus qui se retrouvent pour la première fois en tête à tête, l’idée n’est pas tant d’associer des instruments que des musiciens. Et pour le coup, cette rencontre là devait nécessairement advenir un jour ou l’autre, tant les deux hommes partagent un même goût pour la mélodie, un irrésistible lien au swing et à la danse et quelques places communes où se sont croisés leurs itinéraires jusqu’à ce face à face presque inévitable. Galliano rejoint ainsi l’orchestre de Claude Nougaro lorsque Louiss en sort, en 1973 ; dix ans plus tard, le premier participe au Multicolor feeling du second ; les deux font l’expérience du duo avec respectivement Michel Portal (mais aussi, plus confidentiellement et sans trace enregistrée, avec Charlie Haden ou Enrico Rava) et Michel Petrucciani (une fameuse Conférence de presse en deux volets). Mars 2001, studio Ferber à Paris : ils se (re)trouvent donc enfin et vérifient, trois jours durant, combien leur rencontre est effectivement aussi fertile qu’ils pouvaient l’imaginer. Orgue et accordéon trouvent immédiatement leur place l’un par rapport à l’autre, échangeant leurs postes avec une adresse et une aisance confondantes, découvrant et explorant naturellement une répartition des rôles aussitôt sujette à remise en cause et invention. Des sonorités entrelacées naît, sur un répertoire allant du Sang mêlé de Louiss (paru sur l’album du même nom, à l’époque où l’organiste bricolait son petit monde chez lui, entouré de machines et de boîtes à rythmes) au I remember Clifford de Benny Golson ou, en conclusion, à une superbe reprise de Avec le temps, une texture étonnante déclinée sur tous les tons. Tangos ou chansons populaires (Sous le ciel de Paris), rythmes doucement chaloupés ou étrangement accidentés, tout réussit décidément à cet admirable duo, dont on sent (et espère) qu’ils n’ont pas fait le tour de la question et poursuivront un travail commun où ni l’un ni l’autre ne cèdent à l’envie de voiler l’éclat de leurs sentiments.