Une voie rapide et un ouvrage d’art : rarement un artwork n’avait été aussi explicite. Le long de trente-quatre minutes d’un punk psychédélique autobahnien et monumental, les Australiens d’Eastlink proposent un album puissant, tout en saturation, l’aiguille dans le rouge au sens propre, sonorement digne du mythique Icky Baby. Deux ans après un premier disque (sorti alors sur Creep Dreams), déjà éponyme et particulièrement rageur, cet Eastlink (également désigné sous le nom de Mullum Mullum par les initiés), parfois insaisissable apparaît comme bien plus abouti et ambitieux. On ne saurait passer sous silence l’existence du clip d’ « Overtime », extrait de l’album, OVNI audiovisuel d’une laideur fascinante, qui remet en question tous les a priori esthétiques et ringardise définitivement le genre.

Eastlink marque son australianité en empruntant son nom à une bretelle du périphérique de Melbourne, dont la construction a partiellement détruit la vallée du Mullum Mullum. Il s’agit bien d’un all-star band, dans la mesure où l’on retrouve des musiciens évoluant dans des formations comme Total Control, (les fabuleux) UV Race, Straightjacket Nation, Repairs, Lakes, entre autres. Mullum Mullum compte neuf titres dont quatre instrumentaux. Les compositions s’appuient sur quatre (!!!) guitares qui font la part belle aux riffs carrés et hypnotiques. L’absence de basse est une idée d’Al Monfort, ravi de tourner le dos aux cordes pour revenir à la batterie. Les textes du groupe surprennent par leur humanisme et leur sensibilité, le chant est inspiré (Monfort la plupart du temps, Johann Rashid sur le déjà évoqué « Overtime »).

Quatre guitares pour un seul groupe ouvre à beaucoup de possibilités, mais laisse craindre la cacophonie. Eastlink se joue de l’embûche : une guitare prend la parole et répète un même motif, jusqu’à l’ivresse, pendant que les autres explorent tous les recoins sonores, mêlant feedback, gain poussé à fond, arpèges et accords (« Dinnerchat » en est un parfait exemple). Paradoxalement, la production lo-fi de l’album souligne la tension qui naît du jeu entre la guitare « centrale » et les autres. Mullum Mullum est l’œuvre de musiciens qui ne se prennent pas au sérieux (comme le prouvent les deux atrocités filmées et la présence dans le track-listing final d’expérimentations fabuleuses mais proches de l’ébauche, « Eastie Shit » et « Eastie Zoom »). Simple ne veut pas dire prévisible ; les premières notes de « What A Silly Day (Australia Day) » ou de « Gina » rappellent mille morceaux connus, avant de laisser place à force de légères dissonances et de profonds crissements à de véritables monolithes noise. L’ensemble est râpeux, jouissif (« Overtime » laisse penser qu’on a réuni les membres de Lungfish et de Tyvek dans la même pièce) et réalise le tour de force de varier les tempos avec aisance ; le rythmé « Spring St. » s’oppose au plombant et malsain « Scat » qui voit un saxophone glauque apparaître : assurément un des grands moments du disque.

Mullum Mullum correspond en tout point à ce que les membres d’Eastlink cherchaient à mettre en œuvre : le pacte narratif lo-fi est respecté, et ses nombreuses aspérités font de cet album une véritable croisière sur l’asphalte d’un périphérique australien.