Deux ans après Les Revenants, les conséquences du succès de Canal+ se font encore sentir avec cette mini-série projetée en avant-première au Festival de La Rochelle. Ecrite par un trio de scénaristes – Frédéric Azémar, Quoc Dang Tran et Florent Meyer – Intrusion raconte le basculement d’un pianiste virtuose dans un autre monde, qui le renvoie à un traumatisme vécu 30 ans plus tôt avec la perte de son frère jumeau. Un motif d’ailleurs abordé d’une façon très différente dans Les Revenants, série avec laquelle Intrusion partage le goût d’un fantastique minimaliste, ancré dans le quotidien. Par petites touches, Philippe Kessler perd ses repères, à commencer par son ouïe, outil indispensable à son métier de pianiste. A quelques jours d’une série de concerts très importants, son oreille si fiable lui joue des tours. Puis les hallucinations s’installent : un petit garçon avec son ballon rouge semble le poursuivre, un bébé lui apparaît avec les yeux opaques. Il en faut peu à Xavier Palud, derrière la caméra, pour installer un profond malaise, jusqu’au basculement total vers une autre réalité, totalement impossible, et pourtant… Ce premier épisode (sur une mini-série qui en compte trois) impose un ton très particulier, une certaine lenteur qui n’empêche pas d’être happé par l’intrigue. L’élément perturbateur qui fait basculer la mini-série vers le fantastique est joliment mis en scène, à travers une transe du personnage pendant son concert. Les rouages du piano devenu fous l’emmènent dans un monde parallèle, à moins que Philippe Kessler ne soit lui-même en train de perdre la raison.

Dans un double rôle assez casse-gueule (on n’en dira pas plus pour préserver l’intrigue), Jonathan Zaccaï impose son grand regard bleu inquiet. L’acteur tient la mini-série sur ses épaules, passant d’un calme olympien à une potentielle folie, avec un sens de la mesure qui sied à l’univers de la série. Derrière Intrusion, c’est le thème de la perception de la réalité, cher au trio de scénaristes fans de Philip K. Dick, qui est abordé. Ce premier épisode aurait-il vu le jour sans le précédent des Revenants ? La question se pose tant les deux œuvres se rejoignent sur certaines thématiques, certains motifs, ainsi que sur la forme, avec cette ambiance délétère et le choix d’une réalisation soignée. Deux séries d’auteur et de genre. Au-delà de la comparaison avec sa grande soeur, Intrusion permet de constater que la France possède un savoir-faire indéniable en matière d’oeuvres fantastiques. Ce genre de récits où le quotidien se trouve chahuté par un élément fantastique, qui plonge le protagoniste à d’interroger sur sa propre folie, remonte aux nouvelles littéraires à succès du XIXème siècle telles que Le Horla de Maupassant. Il est à nouveau exploré aujourd’hui à travers des séries singulières, autre forme de récit par l’image, qui connait une indéniable apogée en cette première moitié de XXIème siècle.