Collaboration très attendue et inespérée entre deux sommités du platinisme international, ce disque pourrait même faire figure de manifeste, les multiples directions du « genre » semblant ici toutes explorées et revitalisées par leur rencontre. Une génération sépare les deux artistes, un fossé artistique également, et pourtant, l’osmose semble ici totale : difficile en effet de deviner qui fait quoi, malgré les particularités de jeu et de son des deux improvisateurs connues depuis longtemps. On a ici affaire à une musique improvisée extrêmement mature et maîtrisée, fruit de la rencontre de deux parcours et démarches expérimentaux. Ainsi, il semble difficile de résumer ou de décrire la musique explorée par le duo, somme de deux longues carrières aussi disparates que complémentaires.

Marclay le plasticien use autant des particularités physiques (disruptions, violence des gestes) que conceptuelles de l’instrument (plunderphonisme, collages), alors que Yoshihide le musicien semble résumer son art en confrontant autant les monumentaux collages de sons ultra-nerveux qui ont fait sa réputation (réécouter à ce titre les angulaires The Night before the death of the sampling virus, sur Extreme, ou le Revolutionary pekinese opera de Ground Zero) que les atmosphères ultra-minimales de ses travaux récents avec Iso ou Filament (on retrouve çà et là les éruptions et autres infrasons digitaux qui font la particularité esthétique des projets récents du Japonais). Le résultat est un étonnant travail d’improvisation explorant un spectre très large allant du bruitisme (appositions de masses de bruits et de musiques de fanfare déterritorialisées) au minimalisme le plus délicat, semblant tourner autour d’une thématique forte : celle du collage et du découpage, aussi bien culturel qu’esthétique ou conceptuel, voire philosophique. Notamment par la portée et le propos d’une musique du fractionnement dans notre monde de la surabondance informationnelle (on conseillera à ce titre de se référer aux divers écrits et entretiens donnés par le plasticien-performer new-yorkais).

Une musique du mouvement, sans cesse haletante, hoquetant et changeante, mais souvent passionnante, qui sait ouvrir un monde insoupçonné de correspondances et de signes à qui sait lui donner le temps de dépasser la brutalité des appositions et des disruptions, comme la bande-son idéale de L’Empire des signes de Roland Barthes… Un disque bien plus atypique qu’il n’y paraît, à mille lieues des considérations classiques de la musique improvisée actuelle.