Héritage ? Quel héritage ? Celui de toutes les musiques qui ont fait le jazz et demeurent ses cousines, aînées ou ancêtres, si l’on s’en réfère à la profusion de styles et de couleurs qui font ce troisième album du duo Sourisse / Charlier. Le blues, le swing, les spirituals, le jazz Nouvelle-Orléans, la musique soul et, c’est sans doute leur domaine de prédilection, le funk ; les trottoirs de New York se mêlent aux échos des églises noires, les pêches de cuivre sorties d’un clubs des années 1930 croisent le banjo d’un troubadour du Sud, le Mississipi rencontre l’Afrique ; une vision syncrétique qui, grâce à une construction bien pensée, ne tourne jamais au bric-à-brac et, malgré la diversité (des genres, des sons, des combinaisons), conserve une unité et une cohérence parfaites. Bien balancées, les mélodies incitent à taper du pied (At the Juke joint, avec un Sourisse impérial de vélocité et de groove au Hammond) ; malicieux, les clins d’œil montrent que l’humour n’est pas absent du projet ; précieux, les invités (les deux hommes savent s’entourer : dans Eleven blues, c’était Kenny Garrett qui avait amené son saxophone) ajoutent leur touche à la mixture et lui donnent son goût final, de Stéphane Guillaume (saxophone) à l’excellent guitariste new-yorkais Kurt Rosenwinkel (rappelez-vous tout le bien qu’on avait écrit dans ces pages de son album Heartcore) et, surprise, au bluesman Mighty Mo Rodgers, qui vient poser sa voix sur Ragtime ragoût (un moment pas désagréable, mais qui, au regard du reste, n’est pas forcément le plus enthousiasmant). Mais au cœur de l’album, c’est bien la paire Charlier / Sourisse qui joue le rôle de turbine, de poumon, de tête pensante, de moteur et de boussole : Héritage est avant tout le bel accomplissement de l’une des paires musicales les plus remarquables de la scène française contemporaine, par sa longévité aussi bien que par sa parfaite entente.