Avouez qu’avec un titre comme ça, on ne peut pas ne pas avoir envie d’aller voir quoi il retourne, même si on se dit que c’est un peu vulgaire (d’autant que la couverture, il faut le dire, est franchement laide) et pas très bon signe. La quatrième de couverture n’est pas spécialement engageante non plus : « Qui n’a jamais rêvé de tuer son voisin le dimanche matin quand il vous réveille à coups de perceuse ? Ou d’envoyer dans le décor l’automobiliste qui vous serre de trop près ? Le héros de cette histoire, lui, a décidé un jour de passer à l’action ». A première vue, ça sent le roman sot sur les petits tracas du quotidien, les guichets des administrations, les possesseurs de chiens hargneux, les parents de mômes qui crient, les beaufs bavards, les bobos en rollers, bref, le genre de sujets dont on tire, au mieux, une chronique d’humeur dans un magazine féminin. Surprise : c’est exactement ça, mais ça n’en reste pas moins très lisible.

Le narrateur, trentenaire vaguement je-m’en-foutiste, un peu feignasse sur les bords et profondément sympathique, partage la vie d’une certaine Christine, qui l’aide à stabiliser son mode de vie et à se lever à horaires réguliers. Le chat des voisins pénètre fréquemment dans leur appartement par la fenêtre ouverte et vient ronronner dans leurs pattes, en glissant de temps à autres un petit coup de griffes à notre héros. Excédé, il finit par le balancer dehors d’un jet sec, acrobatie dont le pauvre animal ne se relèvera pas. Aussitôt, l’immeuble entre en effervescence : stupéfaits par la mort du chat et solidaires de leurs jeunes propriétaires, les habitants de la tour se mettent à se parler. Une nouvelle sociabilité s’installe, qui pousse notre narrateur à se dire qu’un petit homicide ici et là pourrait avoir le même genre de résultats. Il se lance donc dans le crime, d’abord selon des méthodes et des plans amateuristes, bientôt en fonction d’une véritable stratégie et d’une authentique théorie sociologique. Sa cible ? Les cons, notion qu’il s’essaye tant bien que mal à théoriser. « En reprenant mes notes, je m’aperçois qu’en à peine quatre mois et demi, je réglai leur compte à quarante-quatre personnes ».

Vieux, voisins, DRH, baba-cools, chauffards, parents démissionnaires, tout le monde y passe, au couteau, au poison ou au revolver, peu importe. Il raconte d’ailleurs tout à son psychanalyste qui, enfermé dans son système mental, croit dur comme fer que tous ses meurtres sont symboliques et les interprète benoîtement selon ses schémas lacaniens. Résulte de tout cela un roman beaucoup trop long, bourré de défauts, complètement primaire et écrit à la va-comme-je-te-pousse mais, qu’on le veuille ou non, irrésistiblement drôle et attachant par son côté bricolé et sans prétention, cette manière de bonhomie artisanale et dénuée de moyens qui lui donne des airs de comédie satirique en noir et blanc, tournée avec des bouts de ficelles et un peu de culot, façon C’est arrivé près de chez vous. On ne va bien sûr pas crier au chef-d’œuvre, mais il y a dans ce petit roman (le premier de son auteur) cynique et raisonnablement bien troussé un côté jusqu’au-boutiste (faire un gros roman sur rien, déployer un scénario maigrissime jusqu’au bout, aligner les meurtres et les saynètes drolatiques avec un goût infantile et gratuit du jeu de massacre, par pure jubilation) tout à fait plaisant, qui le rend presque recommandable.